Multimédia, réalité virtuelle et le projet SV3 de l'UQAM

par

Danielle Perreault


Cursus vol. 1, no 1 (octobre 1995)


Cursus est le périodique électronique étudiant de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal. Ce nouveau périodique diffuse des textes produits dans le cadre des cours de l'EBSI.

ISSN 1201-7302

cursus@ere.umontreal.ca
URL:http://www.fas.umontreal.ca/ebsi/cursus/


L'auteure

Technicienne en documentation depuis plus de vingt ans, Danielle Perreault a eu longuement le temps d'explorer le monde des bibliothèques. Elle travaille présentement à la Bibliothèque centrale de l'UQAM. Toutes les nouvelles technologies l'intéressent de même que le contact direct avec le chercheur qui a besoin, de plus en plus, d'un maximum de soutien pour s'y retrouver. Le projet SV3 va précisément dans ce sens, c'est pourquoi elle a voulu s'y attarder.

Multimedia, réalité virtuelle et le projet SV3 de l'UQAM a été écrit à l'hiver 1995 dans le cadre du cours Technologies de l'information (BLT 6029) donné par le professeur James Turner.

Pour joindre l'auteure: perreaud@ere.umontreal.ca


Droits d'auteur

Tout texte demeure la propriété de son auteur. La reproduction de ce texte est permise pour une utilisation individuelle. Tout usage commercial nécessite une permission écrite de l'auteur.



INTRODUCTION

Dans le monde où nous vivons, les technologies ne cessent de se développer et de se raffiner. Elles envahissent inexorablement toutes les activités de l'être humain, modifiant son rapport avec le monde extérieur. Deux d'entre elles ont retenu ici notre attention: le multimédia et la réalité virtuelle. Pourquoi celles-là? Parce qu'elles sont de plus en plus présentes, sous diverses formes, dans les bibliothèques. Et surtout pour avoir la base théorique nécessaire afin de comprendre le projet SV3, présentement développé par l'UQAM. Ce projet se réclame, en effet, à la fois du multimédia et de la réalité virtuelle.

Ce texte adoptera le déroulement suivant: nous nous attarderons d'abord sur le multimédia, en insistant sur les différentes technologies qui le supportent. Dans un deuxième temps, nous définirons ce qu'est la réalité virtuelle. Enfin, à l'aide des connaissances théoriques que nous aurons acquises et en décrivant brièvement ce qu'est SV3, nous chercherons à déterminer si ce projet répond adéquatement aux prétentions de multimédia et de réalité virtuelle qu'il affiche.

Il est à noter que toute la documentation portant sur SV3 sur laquelle nous nous sommes basée n'a été diffusée qu'à l'UQAM. Cependant, une copie de chacun des textes mentionnés est déposée à la réserve de la Bibliothèque des sciences de l'éducation. Leur présence est signalée dans BADADUQ. Ils devraient, éventuellement, être disponibles sur le Gopher du Service des bibliothèques et sur le Web, mais il est encore impossible de préciser quand.

1. MULTIMÉDIA

L'expression multimédia est très répandue. On en entend parler à toutes les sauces. Les jeux vidéos exploitent abondamment cette technologie. Des développements de toutes sortes sont sans cesse annoncés: CD-I, CD-ROM, télé interactive, etc... Mais que recouvre cette réalité, au juste? Comment et vers quoi a-t-elle évolué? C'est ce que nous tenterons de définir ici.

1.1. Définition

Le terme multimédia désigne, de façon large, l'utilisation simultanée de plusieurs supports différents, non conçus à l'origine pour fonctionner de concert. Le texte, le son, l'image (fixe, animée ou graphique) deviennent accessibles en même temps grâce à des interfaces et programmes interactifs. Le recours à l'ordinateur pour "piloter" ces différents supports constitue l'originalité et l'intérêt de ce nouveau médium:

Le multimédia [est] simplement l'intégration des données provenant de plusieurs sources - images vidéo fixes ou animées, sons, graphiques, textes - dans des applications informatiques. C'est un peu le mariage de la télévision et de l'informatique, cumulant les possibilités d'animation de l'une avec les capacités de traitement de l'autre, dans le but de présenter simultanément sur un écran d'ordinateur, avec accompagnement adéquat et sur plusieurs fenêtres si possible, les informations en provenance de diverses sources (Chenet 1992).

Plusieurs facteurs ont rendu possible le développement de cette technologie: l'accroissement de la puissance des ordinateurs, d'abord; l'apparition des mémoires optiques ensuite; l'invention des nouvelles techniques de compression et de décompression enfin, de même que celle de l'hypertexte.

Hypertexte. Voilà un autre terme étroitement associé au multimédia. Hypermédia aussi. À quoi ces mots font-ils référence?

L'hypertexte est une façon de relier des informations entre elles sous forme de "noeuds", c'est-à-dire par affiliation. Ce mode de recherche interactif, calqué sur le fonctionnement de l'esprit humain, permet de naviguer d'une idée à l'autre, d'un "corpus" à l'autre, selon une logique purement associative. Les "liens" sont donc des chemins d'accès qui permettent d'élargir ou de restreindre la recherche, d'expliquer un mot, de commenter un passage, etc., selon les besoins et désirs de l'utilisateur. Sa grande flexibilité en est l'atout principal.

L'hypermédia est, quant à lui et grosso modo, "le mariage du multimédia et de l'hypertexte" (Chenet 1992) c'est-à-dire qu'il permet la navigation par liens à travers différents médias. L'avantage d'une telle union est évident: "l'être humain retient 10% de ce qu'il lit, 50% de ce qu'il voit et entend et 70% de ce qu'il voit, entend et lit" (Semeteys 1992). L'hypermédia est donc un moyen de communication, d'information et de formation très puissant et très souple qui s'impose de plus en plus. Ajoutons que, dans la pratique, les termes multimédia et hypermédia ont tendance à devenir synonymes.

1.2 La quincaillerie

Le multimédia n'invente pas, on l'a vu, les diverses technologies qu'il utilise. Son originalité consiste à les relier intelligemment pour offrir un accès rapide et efficace à des données de types variés, dont le stockage n'est plus essentiellement linéaire, comme c'était le cas pour le texte. Comment structure-t-il ces données? À quels outils fait-il appel? C'est ce que nous tenterons brièvement d'analyser ici.

1.2.1 SGBDR

Une fois écartées les bases de données de type textuel, qui ne conviennent, comme leur nom l'indique, qu'aux seuls textes, c'est aux systèmes de gestion de base de données relationnels (SGBDR) qu'a d'abord fait appel le multimédia pour gérer ses données. Avec plus ou moins de bonheur cependant, bien que les avantages des SGBDR soient grands.

Cet outil permet, en effet, une structure des données en plusieurs "tables", chaque type de données étant stocké indépendamment et chaque table contenant les propriétés qui lui sont liées. Ce mode d'opération permet d'établir des liens multiples entre les données, de même qu'il facilite leur mise à jour et leur repérage. Il permet également de créer des relations qui n'existaient pas au départ.

Cependant ces SGBDR restent lents. De plus, leur structure tabulaire limite le nombre d'opérations possibles et exige une analyse préalable avant la saisie des données, pour les décomposer et les enregistrer sous forme de tables séparées. Cette rigueur convient peu à l'hypermédia qui ne nécessite que la création de liens à posteriori.

Aussi un autre outil a-t-il été développé. Il s'agit du SGBDOO (système de gestion de base de données orienté objet) qui offre des possibilités beaucoup plus intéressantes pour le multimédia. Expliquons d'abord ce qu'est la programmation orientée objet. Nous verrons ensuite le SGBDOO.

1.2.2 Programmation objet

La programmation orientée objet repose sur la création d'entités cohérentes et manipulables: les objets. Un "objet" représente à la fois le type de données (par exemple: un film) et la procédure qui le régit (soit la méthode pour y avoir accès). Les classes regroupent les objets de même structure et de même méthode. Elles permettent de faire l'économie de répétitions inutiles puisqu'elles réunissent les objets selon leurs caractéristiques communes (tous les animaux se retrouveraient dans la même classe). L'objet instancié, ou élément individuel d'une classe (un chat, par exemple), cumulera donc le bagage de données communes à la classe à laquelle il appartient, plus les particularités qui lui sont propres. De plus, les éléments communs à plusieurs classes sont réunis par le principe d'héritage qui permet de réutiliser au besoin ces caractéristiques communes sans avoir à les définir à nouveau. On est donc en présence d'une structure "partagée" qu'on pourrait spontanément représenter sous forme de diagrammes de Venn. C'est, de toute évidence, une application directe des mathématiques modernes.

Programmer par objet, c'est donc "définir ce qui se passe pour chaque objet quand une action lui est appliquée" (Chenet 1992). Une telle méthode assure souplesse et transparence.

1.2.3 SBGDOO

Le SGBDOO permet donc une structuration intéressante des données puisqu'elle programme par objet. Mais c'est le principe d'emploi multiple de ses éléments qui en fait l'intérêt majeur:

Les SGBDOO permettent au concepteur de base de données de réutiliser les objets déjà définis ainsi que de les faire évoluer ultérieurement, et facilitent ainsi une maintenance du système (Chenet 1992).

D'autre part, une application multimédia a généralement besoin de trois outils complémentaires pour fonctionner: un SGBD pour gérer les données sur le disque; un langage de programmation pour gérer ces données en mémoire; une boîte à outils d'interface pour gérer les données à l'écran.

Or, il existe présentement sur le marché un SGBDOO qui combine ces trois aspects. Il s'agit de O2, de la compagnie O2 Technology. Cette intégration évite au programmeur d'avoir à convertir chaque type d'opération dans des langages différents. Le développement s'en trouve grandement simplifié et accéléré. Ce système est donc tout à fait approprié aux besoins du multimédia.

Le langage d'interrogation a également une grande importance dans l'élaboration d'un produit multimédia. Le choix d'un langage souple, puissant et naturel s'impose. SQL (Structured Query Language) est un langage d'interrogation qui reprend, grâce à ses tables, la même idée de "n" dimensions que l'hypermédia. Son utilisation est donc très pertinente puisqu'il se couple bien avec les SGBDOO.

1.2.4 Normes et standards d'échange

Le respect de normes et de standards d'échanges des différents documents est un autre facteur important à considérer dans la conception et l'utilisation du multimédia. En effet, les informations qu'il supporte doivent pouvoir être lues et partagées par le plus grand nombre de personnes ou d'ordinateurs possibles (principe d'interconnexion). Les échanges doivent donc être les plus conviviaux possibles.

Certaines normes sont déjà appliquées. Les plus connues sont SGML (Standard Generalized Markup Language), ODA (Open Document Architecture), MHEG et HYTIME.

Mais qu'est-ce qu'une norme d'échange? C'est, essentiellement, un système de marquage des documents, une façon d'en baliser les différentes composantes logiques (titres, sous-titres, paragraphes, etc...). Ces techniques permettent "de recomposer le texte selon sa structure hiérarchique et de créer une espèce de table des matières hypertextuelle" (Chenet 1992).

Ici encore, il existe différents types de normes. Certaines sont plus souples que d'autres. Nous ne pousserons pas ici l'analyse des mérites de chacune. Mais il est important d'insister sur la nécessité de développer et d'intégrer de telles normes aux environnements multimédias pour en augmenter la facilité d'utilisation.

1.2.5 Stockage, transmission, compression/décompression

Le multimédia fait appel à d'autres techniques pour le stockage, la transmission par réseaux et la compression/décompression des données. Beaucoup reste à faire dans ces domaines, même si les réalisations sont déjà nombreuses. Le principal frein demeure la puissance limitée des ordinateurs.

Différents types de mémoires optiques existent et sont déjà abondamment répandus: CD-ROM, DON, vidéodisques, etc. Chacun de ces types de mémoire a ses avantages et ses inconvénients. Nous ne les énumérerons pas ici. En fait, le choix de l'un ou l'autre dépend largement du type d'information stocké. Ainsi, le CD-ROM s'impose pour les données textuelles, le vidéodisque s'adapte mieux à l'image et au son.

La transmission des données via des réseaux constitue un autre défi à relever. A ce niveau également, la nécessité de concevoir des normes internationales s'est fait sentir. Certaines sont plus connues: RNIS (Réseau Numérique à Intégration de Services), par exemple. Ces normes tentent de définir les largeurs de bandes nécessaires au transfert en temps réel de documents composites numérisés pouvant comprendre du son, du texte et des images (d'où son intérêt pour le multimédia). L'un des débouchés intéressants de cette technologie est le visiophone, qui permet de voir son interlocuteur au bout du fil.

Mais, que ce soit pour le stockage ou pour la transmission, la compression/décompression des données est obligatoire pour permettre la gestion des informations dans des délais acceptables pour l'utilisateur (et il ne faut pas oublier que celui-ci est de plus en plus impatient!). Des normes sont en cours de développement et varient selon le type de données. Les plus connues sont JPEG (Joint Photographic Experts Group, utilisée pour la compression d'images fixes) et MPEG (Motion Pictures Expert Group, pour la compression d'images en mouvement). Tout produit multimédia devra donc faciliter ces transactions en intégrant des logiciels qui effectueront rapidement ces tâches.

1.3 En résumé

Un produit multimédia réussi optimise à la fois la communication de chaque média qui le compose, les intègre dans un programme cohérent et développe des interfaces conviviales pour y donner accès. Ce dernier aspect est particulièrement important. Une bonne interface doit être entièrement intuitive et ne pas nécessiter d'apprentissage. Elle doit, surtout, accorder toute liberté à l'utilisateur d'intervenir à tout instant. Car, au bout du compte, le principe de base du multimédia, c'est son interactivité.

2. RÉALITÉ VIRTUELLE

La réalité virtuelle (RV) est un sujet "chaud" dans le monde de l'informatique. Elle fait couler beaucoup d'encre (et d'électricité!) et suscite un intérêt énorme. Médecine, éducation, ingénierie, architecture, divertissements, ses champs d'application sont déjà nombreux et pourraient être multipliés à l'infini. Et bien que cette science n'en soit qu'à ses premiers balbutiements, ses réalisations, même partielles et imparfaites, soulèvent beaucoup d'enthousiasme. On a vraiment le sentiment, en se plongeant dans la littérature qui lui est consacrée, de se retrouver au seuil d'une révolution majeure, au moins aussi importante que l'invention du chemin de fer, voire même de l'imprimerie. Mais de quoi s'agit-il au juste?

2.1 Définition

Deux remarques, d'abord. La réalité virtuelle hante les imaginations depuis longtemps. Déjà, dans les années cinquante, Morton Heilig invente le "Sensorama". La ballade à moto que cet appareil reconstruit est, semble-t-il, d'un réalisme saisissant. La littérature a, également, repris abondamment ce thème. La paternité du terme "cyberespace" est souvent attribuée au roman "Neuromancer" de William Gibson (1986). Mais Ray Bradbury avait, en 1950, publié "The Veldt", qui décrivait magnifiquement une expérience de réalité virtuelle plutôt troublante.

D'autre part, il est important de souligner que la RV ne s'est pas développée spontanément, sans aucun lien avec les technologies qui l'ont précédée. Au contraire! Il s'agit plutôt d'une nouvelle génération de produits informatiques:

VR has often been described as the ultimate multimedia experience (Barker 1994).

En fait, il existe un lien évident entre le multimédia et la RV. Le passage de l'un à l'autre implique non pas une rupture, mais un saut qualitatif. La RV peut donc être définie comme un hypermédia auquel on tente d'ajouter une dimension ambitieuse: l'immersion.

Virtual Reality is a three dimensional, 360 degrees interactive world, generated by computer, which addresses the human senses in an attempt to convince them they are in a different set of surroundings and to create a feeling of inclusion within it (Oppeinheim 1993a).

Impossible, cependant, de parler d'immersion sans penser interfaces:

Le cinéma, c'est la vérité à 24 images par seconde dit Jean-Luc Godard. [...] La réalité virtuelle marque l'arrivée du 24 images par seconde dans le domaine de l'interface homme-machine (Rheingold 1993).

Le défi de la réalité virtuelle, c'est donc de concevoir des outils de communication personne/ordinateur tellement perfectionnés qu'on en vienne à oublier leur existence. Présentement, les interfaces se dressent comme une barrière (ils font "écran", pour jouer sur les mots!!!). Tant qu'ils demeurent "visibles", ils créent une distance qui empêche l'utilisateur de fusionner complètement avec la machine. L'immersion, c'est l'abolition totale de cette distance, de sorte que l'utilisateur interagisse avec l'ordinateur de façon tellement naturelle qu'il puisse s'y perdre. Le monde virtuel, c'est alors

[...] un ordinateur que l'on commande, non pas en écrivant des programmes mais par des gestes naturels, en le parcourant, en l'explorant du regard, et en utilisant les mains pour manipuler les objets qu'il contient (Rheingold 1993).

Le résultat souhaité, c'est une expérience en trois dimensions, où la vue, le toucher, l'ouïe et l'odorat sont bernés de façon si magistrale qu'ils ne peuvent que s'y méprendre.

2.2 La quincaillerie

A ce jour, le visiocasque et le gant de saisie sont les deux pièces d'équipement utilisés en RV. Il s'agit là de solutions alternatives à la souris et au clavier pour assurer un contact direct entre l'utilisateur et l'ordinateur. La réussite de l'expérience repose sur leur performance.

Le visiocasque ressemble généralement à un casque de motocycliste dont les lunettes seraient obturées. Celui qui le porte est donc d'emblée coupé du monde extérieur et plongé dans le monde virtuel produit par la machine. Les mouvements de la tête et des yeux sont captés par des senseurs qui les transmettent à l'ordinateur. Celui-ci les décode et réajuste le panorama en conséquence. Idéalement, ce système devrait produire une vision en trois dimensions (obtenue par un léger décalage entre les images perçues par chacun des deux yeux), suffisamment large pour permettre une vue périphérique, du coin de l'oeil. Pour renforcer l'illusion du réel, les mouvements doivent être décodés instantanément.

Les ordinateurs actuels sont cependant encore incapables de digérer aussi rapidement toutes les données impliquées: ils manquent de puissance. Aussi accusent-ils encore un léger retard dans leurs réactions. De plus, le casque actuel est encombrant. Et le fait qu'il soit directement relié par câbles à l'ordinateur limite les mouvements. Mais des recherches sont en cours pour augmenter sa maniabilité et le rendre "invisible", c'est-à-dire plus discret. L'hypothèse de simples verres de contact est même explorée. Nul doute qu'un avenir rapproché verra des développements très intéressants dans ce domaine.

Mais la vue seule ne peut donner l'impression d'une immersion complète. Aussi a-t-on développé le gant. Muni de senseurs le long des doigts, il permet de pointer un endroit du cyberespace où on désire se rendre et de s'y déplacer effectivement. À ce titre, le doigt devient l'équivalent de la souris. Mais ce n'était pas suffisant. Aussi y a-t-on ajouté la capacité de saisir les objets virtuels en ressentant leur poids et la résistance qu'ils offrent. L'illusion du "toucher" est si parfaite que l'on peut même faire la différence entre divers matériaux! L'illusion de réel en est accrue d'autant!

Certes, comme le casque, cette pièce d'équipement a encore besoin de raffinement et de mise au point. Mais ce qu'elle permet est déjà, en soi, révolutionnaire. Et en s'inspirant du même principe, on travaille déjà à mettre au point une combinaison recouvrant tout le corps. Ainsi, le monde virtuel offrira-t-il un mirage plus crédible encore.

Les applications de ces découvertes ne font pas l'unanimité. L'industrie de la pornographie, déjà très active dans le cyberespace, est fortement décriée par certains. Mais il n'en reste pas moins que cette technologie va permettre à l'homme de vivre des expériences impossibles à imaginer jusqu'à présent. Elle fera éclater les limites naturelles de l'humain et enrichira l'éventail de ses expérimentations. Aussi, malgré ses imperfections présentes, est-ce une voie d'avenir qui marque un changement de perspective dans l'utilisation des ordinateurs: le passage de l'intelligence artificielle (IA) à l'amplification de l'intelligence (AI):

Dans le secteur de l'IA, on cherche à remplacer le cerveau humain par la machine, ses programmes, ses bases de données. Dans le secteur de l'AI, en revanche, on cherche à élaborer des systèmes qui amplifient l'esprit humain en dotant ce dernier d'auxiliaires informatiques pouvant remplir des fonctions pour lesquelles le cerveau n'est pas doué. (Brooks cité dans Rheingold 1993)

2.3 En résumé

Les réalisations de la réalité virtuelle sont encore rudimentaires, la technologie à laquelle elle fait appel, encore bien imparfaite. Malgré tout, la RV est une expérience sensorielle qui plonge l'utilisateur au coeur de la problématique qu'il veut explorer. Elle rend possible une expérimentation directe, sans intermédiaire. En fait, elle permet littéralement de jouer avec les différentes données d'un problème ou d'une situation en les matérialisant, comme si on se retrouvait en situation réelle. Or, le jeu est à la base de tout apprentissage. Rheingold (1993) y consacre de longs passages, très pertinents, démontrant, du même coup, l'intérêt majeur de cette technologie.

3. SV3

SV3, on l'a brièvement précisé en introduction, est un projet mis sur pied à l'UQAM pour remplacer SIGIRD, l'actuel système intégré de gestion des bibliothèques. C'est un projet ambitieux qui cherche à intégrer l'accès, la diffusion et la gestion de l'information, sous toutes ses formes (texte, images fixes et animées, son, voix et multimédia), quels qu'en soient la source ou le support, dans le but de livrer à l'usager une information sur mesure, en temps opportun et de la façon la plus économique possible (Champagne et Côté 1993).

Comme SV3 est présentement en développement (son implantation, selon l'échéancier de 1993, est prévue pour décembre 1996), les informations dont nous disposons sont partielles et générales. Malgré cela, nous avons jugé intéressant de nous y attarder quand même. Cette tentative constitue, selon nous, un pas concret vers la bibliothèque du futur et, à ce titre, mérite notre attention.

3.1 Présentation générale du projet

Les objectifs des concepteurs de SV3 sont les suivants: assurer l'autonomie de l'usager, la convivialité des moyens et l'intégration des fonctions. Le système se propose donc d'offrir, entre autres: une interface personnalisable; un langage d'interrogation naturel; un supercatalogue englobant les notices bibliographiques et les tables de matières, index, résumés analytiques, etc. des différents documents; un moteur de recherche basé sur les opérateurs booléens, l'adjacence, la proximité, la recherche plein texte; des répertoires électroniques d'aide à l'identification et au choix des sources à consulter et capables d'y assurer un accès facile; une boîte à outils permettant de compresser ou de décompresser automatiquement les données; de l'aide contextuelle, et davantage encore.

L'environnement technologique pour supporter toutes ces réalisations est caractérisé par: une approche objet; l'utilisation d'un langage de programmation de quatrième génération (comme C++) et d'un langage d'interrogation normalisé (SQL); le recours à des protocoles d'échange (Z39.50); le respect des normes pour faciliter l'interconnexion des systèmes (comme SGML). Le développement de SV3 est de plus prévu à partir d'une base de donnée relationnelle (SBGDR) à laquelle on combinera une gestion des listes inversées. Les résultats de la recherche seront servis selon une approche client serveur. On fera abondamment appel au fenêtrage et aux menus déroulants. Le système supportera également les caractères internationaux et les icônes et décodera plusieurs langues. De plus, il fonctionnera en environnement distribué, fera appel à des systèmes experts et sera "portable", c'est-à-dire qu'il sera utilisable dans tous les environnements technologiques.

Voilà donc, rapidement brossé, un portrait technique de SV3. Ses ambitions sont grandes. Mais dans quelle mesure la description que nous venons d'en faire respecte-t-elle les critères du multimédia et de la réalité virtuelle? C'est ce que nous verrons brièvement en conclusion ici.

3.2 SV3: vraiment multimédia et réalité virtuelle?

Choix d'un SGBDR, programmation orienté objet, respect de normes et de protocoles, intégration du texte, de l'image et du son, il n'est pas besoin de pousser l'analyse beaucoup plus loin pour conclure à l'aspect multimédia indéniable de SV3. Tout est manifestement mis en oeuvre pour intégrer les différents supports de la façon la plus intelligente et la plus conviviale possible, en utilisant les technologies de pointe, en perfectionnant leur agencement et en personnalisant leur emploi. Mais qu'en est-il de la réalité virtuelle? Ses principes sont-ils respectés?

La réponse est moins tranchée. Oui, la réalité virtuelle est bien présente dans ce projet. Mais non, on ne cherche pas à immerger l'utilisateur dans un monde virtuel créé spécialement pour lui.

Qu'est-ce à dire? Tout simplement qu'il existe une confusion certaine quant à l'utilisation du terme réalité virtuelle et qu'il convient d'y apporter des nuances.

Selon Philip Barker (Barker 1994), il faut distinguer bibliothèque électronique, bibliothèque digitale et bibliothèque virtuelle. La première favorise l'accès à la documentation via les ordinateurs. Elle utilise des moyens comme les catalogues informatisés, l'interrogation de bases de données sur CDROM ou en ligne, l'accès à INTERNET, etc. La seconde ne regroupe que des documents digitalisés. On n'y trouve donc plus de livres, journaux, périodiques traditionnels. Et seule la dernière suppose une expérience sensorielle totale. En ce sens, SV3 est un projet de bibliothèque électronique.

CONCLUSION

Mais si le modèle proposé par SV3 est encore loin de la "vraie" bibliothèque virtuelle dans laquelle on pourra réellement se promener, feuilleter les livres, en respirer l'odeur et où des bibliothécaires virtuels répondront à nos questions et nous orienterons dans nos recherches, il s'en rapproche néanmoins de plus d'une façon. D'abord en banalisant l'accès à une documentation où qu'elle soit et sans regard à son support. Ensuite en démystifiant une démarche qui demeure encore, pour plusieurs, de l'ordre de l'ésotérique. En bref, si SV3 ne fait pas sauter tous les murs des bibliothèques traditionnelles, il en élimine quelques-uns pour de bon, agrandissant la brèche qui nous mènera, tôt ou tard, dans la réalité virtuelle. Il s'agit donc là d'une étape intermédiaire très prometteuse.

Ajoutons, pour terminer, que le mérite principal de ce projet est de simplifier la vie des chercheurs. En maximisant d'une part la transparence à tous les niveaux: accès, interrogation et transfert de données. En intégrant, d'autre part, les différents outils que l'on retrouve déjà dans la plupart des bibliothèques mais qui sont souvent dispersés un peu partout. Ainsi, l'usager n'aura plus à courir du terminal d'interrogation au poste de CD ROM à son micro personnel. Il pourra faire toute sa démarche à partir d'un même poste de travail. Et le résultat de sa recherche lui sera servi selon son humeur, selon la forme qu'il désire. Avec le développement extensif d'INTERNET, c'est là une avenue très intéressante.


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