ISSN 1201-7302 Cursus vol. 8 no 1 (printemps 2005)

La pertinence de l'entrée principale dans les catalogues informatisés : une brève revue de la littérature


Anne-Marie Picard

Cursus est le périodique électronique étudiant de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal. Ce périodique diffuse des textes produits dans le cadre des cours de l'EBSI.

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TABLE DES MATIÈRES

1. Introduction
2. Les origines et définitions de l'entrée principale
2.1 Quelle est l'origine du concept d'entrée principale ?
2.2 Qu'est-ce que l'entrée principale ?
3. Le débat sur la pertinence de l'entrée principale
3.1 Les arguments en faveur de l'élimination de l'entrée principale
3.2 Les arguments en faveur du maintien de l'entrée principale
4. Conclusion
5. Bibliographie

L'auteure

Après avoir obtenu une maîtrise en histoire et poursuivi des études doctorales dans la même discipline, l'auteure est présentement candidate à la maîtrise en sciences de l'information à l'Université de Montréal. Le rôle et la mise en marché des bibliothèques publiques et l'accès à l'information sont ses principaux champs d'intérêt.

1. Introduction

If we allow the weight of the past to stifle change and progress, however advantageous and justified, we shall indeed become the caricature which form the stereotype of a librarian in the public mind.
Seymour Lubetsky 1

Vous voulez lire La Guerre et la paix de Tolstoï dans toutes ses éditions et traductions ? Rien de plus simple aujourd'hui. Vous vous rendez à votre bibliothèque locale, mieux, vous accédez dans le confort de votre foyer au catalogue en ligne de votre bibliothèque, faites une recherche par auteur sous Tolstoï et votre écran affiche tous les documents que votre bibliothèque possède de cet auteur. Voilà, le tour est joué. Mais êtes-vous certain que pour tous les documents repêchés, Tolstoï représente bien l'entrée principale de ceux-ci ? « L'entrée principale ? » vous dîtes-vous, « n'est-ce pas la porte d'entrée de la bibliothèque ? Pourquoi devrais-je m'en préoccuper ? ».

Cette dernière question est celle que se posent plusieurs catalogueurs et théoriciens du domaine de la bibliothéconomie depuis des décennies, et particulièrement depuis les quinze dernières années, avec l'apparition des catalogues de bibliothèques informatisés. La pertinence de l'entrée principale, ou de la notice principale (main entry en anglais), dans les catalogues informatisés est un sujet controversé qui a suscité la parution de nombreux articles présentant les arguments des auteurs en faveur ou non de l'élimination de l'entrée principale. Le but de ce travail est de présenter les arguments avancés par les auteurs qui se sont exprimés sur le sujet depuis le début des années 1990. Nous exposerons en conclusion comment ces auteurs perçoivent les nouvelles fonctions que devraient offrir les catalogues informatisés. Mais pour débuter, il est essentiel de retracer l'origine de l'entrée principale et de tenter de la définir.

2. Les origines et définitions de l'entrée principale

2.1 Quelle est l'origine du concept d'entrée principale ?

Avant même la parution des premiers ouvrages visant à uniformiser les règles de catalogage, les bibliothécaires qui désiraient établir une liste des ouvrages que leur institution possédait durent choisir un système d'entrée afin de construire la liste de leurs documents. Le but d'une telle liste était de pouvoir retracer et localiser facilement les ouvrages. Cette liste se présentait sous la forme d'un livre, manuscrit ou imprimé (book catalog). Il était nécessaire de choisir un système d'entrée normalisé avec un seul accès puisqu'il était difficile par manque de temps, d'espace et d'argent, d'établir plusieurs listes avec des points d'accès différents. L'auteur des documents recensés fut choisi comme l'accès unique aux documents (si celui-ci était inconnu, l'accès se faisait au titre) dès l'époque médiévale (en Occident, à tout le moins). Cette pratique se perpétua tout au long de l'époque moderne et les premiers codes de catalogage anglo-américains, inspirés des travaux d'Antonio Panizzi et de Charles Jewett, parus au milieu du XIXe siècle, gardèrent l'auteur comme entrée unique des catalogues (Shoham et Lazinger 1991, 54).

L'importance de bien choisir l'entrée était essentielle dans la mesure où celle-ci constituait le seul accès pouvant mener à l'identification et à la localisation d'un document. Cette préoccupation garda tout son intérêt avec l'apparition des fiches bibliographiques à la fin du XIXe siècle. La fiche avait toutefois l'avantage de dégager la notice bibliographique d'un ensemble fixe; elle était mobile et facilement reproductible. Mais, par souci d'économie encore une fois, toute la description bibliographique d'un document n'était pas retranscrite sur les fiches reproduites. Il était donc nécessaire d'établir un lien entre la fiche reproduite et la fiche complète, originale. C'est à ce moment qu'apparurent les notions d'accès principal ou secondaires (ou entrées principale et secondaires) 2.

Au même moment, Charles Cutter proposa un premier modèle concernant tant les catalogues imprimés qu'à fiches. Il établit trois fonctions principales que les catalogues devaient remplir :

  1. permettre à l'usager de trouver un livre lorsque l'un des items suivants est connu:
    1. l'auteur ;
    2. le titre ;
    3. le sujet ;
  2. présenter les livres qu'une bibliothèque possède :
    1. par auteur ;
    2. par sujet ;
    3. par genre littéraire ;
  3. aider l'usager à choisir un livre :
    1. selon son édition ;
    2. selon sa nature3.

Les règles de Cutter furent largement adoptées et la plupart des bibliothèques dont le catalogue était constitué de fiches mobiles se dotèrent d'un système à trois points d'accès : par auteur, par titre et par sujet. Cette augmentation du nombre de points d'accès multiplia le nombre de fiches dans les catalogues et renforça l'importance de l'entrée principale puisque la description bibliographique complète des ouvrages ne se trouvait que sur cette fiche. De plus, cette division est à l'origine d'une confusion aux niveaux terminologique et du sens des termes « entrée principale » et « vedette principale » (main entry ou main entry heading), sur laquelle nous reviendrons plus loin.

En 1961, les Principes de Paris, tirés des réflexions de Seymour Lubetsky, reprirent en grande partie les objectifs que Cutter assigna aux catalogues.

Le catalogue devrait permettre de déterminer :

2.1. si la bibliothèque possède un livre selon
a) son auteur ou son titre, OU
b) si l'auteur est inconnu, son titre seulement, OU
c) si l'auteur et le titre sont inappropriés ou insuffisants à l'identification du livre, un substitut valable au titre ET
2.2
a) quelles œuvres d'un auteur possède la bibliothèque ET
b) quelles éditions de ces œuvres possède-elle 4.

Les Principes de Paris et les objectifs de Cutter assignent deux fonctions au catalogue : une fonction de repérage (finding list function) permettant de trouver un ouvrage selon son auteur, son titre ou son sujet, et une fonction de regroupement (collocative function) permettant de grouper toutes les éditions et les manifestations d'une œuvre d'un auteur donné. Ces fonctions sont importantes car ce sont elles, entre autres arguments, qu'invoqueront les défenseurs de la pertinence de l'entrée principale dans les catalogues informatisés. Aujourd'hui, les règles de catalogage anglo-américaines révisées sont basées sur ces principes et maintiennent l'importance de bien choisir l'entrée principale d'un document en y consacrant un chapitre entier, le chapitre 21, que les détracteurs de l'entrée principale voudraient bien voir disparaître, ou à tout le moins, modifié (Règles de Catalogage Anglo-Américaines 2 1998,  xxix).

2.2 Qu'est-ce que l'entrée principale ?

Les catalogueurs ayant écrit au sujet du concept d'entrée principale s'entendent sur une chose : sa définition est pour le moins imprécise et entraîne une confusion quant à son interprétation. Et c'est ce qui explique, en partie, le débat entourant sa pertinence aujourd'hui. D'Angelo a raison de conclure que les auteurs définissent et interprètent le concept d'entrée principale selon ce qu'ils veulent démontrer et il ajoute : « admittedly, the concept invites us to interpret it any way we want; but in a rule-based profession such as cataloguing, ambiguity should not be tolerated » (D'Angelo 1997, 5-6).

La principale confusion chez les catalogueurs vient des termes « entrée principale » et « vedette principale » que nous avons évoqués plus haut. Dans un article traitant, entre autres, de cette confusion, Brunt relate qu'avant une importante conférence s'étant tenue à Toronto en 1997 au sujet de l'amélioration des règles de catalogage anglo-américaines, la majorité des intervenants ayant participé à un babillard électronique au sujet de la définition de l'entrée principale confondaient « entrée principale » et « vedette principale » (Brunt 1999, 329).

Selon le glossaire des RCAA2, l'entrée principale (ou la notice principale) (main entry) est l'« enregistrement catalographique complet d'un document disposé selon une présentation qui assure au document une identification et une référence uniforme. La notice principale peut comprendre le rappel des vedettes », et la vedette principale (main heading) est la « première partie d'une vedette qui comprend une sous-vedette ».

Pour la majorité des auteurs, ces définitions sont loin d'être précises et entraînent une série d'interprétations différentes de l'entrée principale. Cela s'explique, selon Winke, par le fait que le chapitre 21 des RCAA2, traitant du choix de l'entrée principale, n'aborde pas celle-ci comme étant la notice complète d'un ouvrage, comme définit dans le glossaire, mais comme la vedette principale (Winke 1993, 56). Ainsi, même les RCAA2 semblent confuses quant au sens et au rôle de l'entrée principale. Est-il surprenant, alors, que les catalogueurs ne s'entendent pas sur son interprétation?

The Encyclopedia of Library and Information Sciences attribue deux sens à l'entrée principale : « the basic catalog card, usually the author entry, giving all the information necessary to the complete identification of a work » et « the entry chosen for the main card » (note 10). Ainsi, l'entrée principale est interprétée soit comme l'en-tête d'une fiche bibliographique (la combinaison de l'auteur et du titre d'une fiche bibliographique), soit comme la description complète d'un ouvrage sur une fiche bibliographique (Winke 1993, 55-56). Dans les champs MARC, l'entrée principale est traduite par le champ 1XX et les entrées secondaires par le champ 7XX. Ainsi, selon le sens et les fonctions attribués à l'entrée principale, la pertinence de la maintenir dans les catalogues électroniques d'aujourd'hui est questionnée.

3. Le débat sur la pertinence de l'entrée principale

3.1 Les arguments en faveur de l'élimination de l'entrée principale

Le débat entourant la pertinence de l'entrée principale n'a pas débuté avec l'arrivée des catalogues électroniques. En fait, si l'on s'en tient à la première définition de l'entrée principale, soit la fiche bibliographique qui décrit complètement un document, on conçoit facilement que dès l'arrivée des fiches bibliographiques à la fin du XIXe siècle, avec leur mobilité et leur caractère reproductible, l'entrée principale ait perdu de sa pertinence. En effet, si l'on peut multiplier les accès à un document et que tous ces accès peuvent contenir la description complète d'un document, pourquoi maintenir ce concept d'entrée principale s'il n'a plus de fonction dans la pratique ? C'est d'ailleurs ce que font remarquer plusieurs auteurs, dont Winke :

With the advent of the Library of Congress' sale of unit entry cards in 1901, the concept of main entry was dealt its first serious blow. In a unit entry system, all cards contain all information about the publication, but each has a unique heading typed above the record indicating where in the catalog it should be filed. The card with no overtyping is the main entry. In such an environment, the accepted basis for the usefulness of the main entry was essentially obviated, as the visual and bibliographical differences between a main entry card and an added entry card are minimal and inconsequential (Winke, 1993).

Dès 1955, Koichi Mori plaidait en faveur de l'élimination de l'entrée principale dans un article intitulé Separation of Headings and Description5, puis en 1972, Mohamed Hamdy consacrait un ouvrage complet sur le sujet (Hamdy 1972). Bien sûr, le débat sur la pertinence de maintenir l'entrée principale resurgit au début des années 1990 avec l'arrivée et la multiplication des catalogues informatisés.

Tous les auteurs en faveur de l'élimination de l'entrée principale font remarquer que ce concept fut créé à l'époque où les catalogues n'étaient pas informatisés. L'entrée principale était pertinente dans la mesure où il était impératif dans les « catalogues-livres » de déterminer une seule entrée par ouvrage et de limiter les accès dans les catalogues constitués de fiches (mais là encore, la possibilité de reproduire entièrement les fiches minimisait l'importance de l'entrée principale).

L'entrée principale définie comme description complète d'un document et point d'accès principal à un document perd toute sa pertinence dans un catalogue informatisé puisque, théoriquement, un catalogue informatisé peut offrir une multitude de points d'accès et affiche à chaque fois la notice complète des documents sélectionnés. Ses détracteurs font alors référence à la différence entre les champs MARC 1XX et 7XX. Sheila Intner déclare : « It doesn't matter whether it is a main or added entry name, I get all the records that tag that name as a retrieval point (100/700). We don't use main entries for storing, sorting, searching or retrieving author's name » (Intner 1996, 3). Winke approuve : « No user (no librarian as well?) cares whether an author's name is entered as a main or added entry when searching the catalog. Nor does a user [...] pause to think of whether Hemingway is a 100 or a 700 in any given catalog » et ajoute « if the concept of and the need for the main entry are so important that it occupies fully 13 percent of the present cataloguing code, why is it ignored when the code is applied to the catalog, and the use of it not made available to the library's user? » (Winke 1993, 3).

Ce qui expliquerait pourquoi les RCAA2 détaillent par de multiples règles comment distinguer l'entrée principale des entrées secondaires même si cette différenciation a peu ou pas d'incidence dans les catalogues informatisés, c'est que ce code, malgré ses révisions, fut conçu avec la bonne vieille fiche bibliographique de 3 par 5 pouces comme arrière-plan. Or ces fiches entraînaient une série de compromis (sur le nombre d'accès possibles et sur la retranscription complète des fiches) qui n'existent plus aujourd'hui dans les catalogues informatisés (Ayres 1995, 17). D'Angelo (1997, 7), Intner (1996, 3), Ayres (1995, 7), Shoham et Lazinger (1991, 65) n'hésitent alors pas à taxer les responsables des RCAA de conservatisme.

Un autre argument en faveur de l'élimination de l'entrée principale avancé par les auteurs est inclus dans les RCAA2. Le paragraphe 0.5 mentionne : Le problème inhérent à l'emploi de vedettes multiples (i.e. ensemble de vedettes de valeur équivalente attribuées à chaque document décrit) a été examiné mais n'a pas été formulé dans les règles. Toutefois, l'on admet que plusieurs bibliothèques ne distinguent pas la vedette principale des autres vedettes ». Les concepteurs des RCAA2 auraient ainsi avoué avec ce paragraphe la non-pertinence de l'entrée principale, mais ne l'auraient pas complètement éliminée des règles par manque de temps (Winke 1993, 54). D'Angelo se demande alors ceci : « why devote a whole chapter, chapter 21, to rules for main and added entries? Presumably, rules are written to be followed, not ignored. If you implicitly invite people to ignore the rules, why bother having them in the first place? » (D'Angelo 1997, 6).

Ceux qui s'opposent à l'entrée principale affirment aussi que le choix de cette dernière est la décision la plus longue et parfois la plus épineuse que les catalogueurs ont à prendre alors que cette décision a finalement peu ou pas d'impact dans les catalogues informatisés. Ayres rapporte que des réviseurs de l'Australian National Bibliography passent 20 % de leur temps à choisir l'entrée principale des documents (Dunlop 1996, 31). Mori, en 1965, estimait que le choix de l'entrée principale représentait 20 à 40 % du temps nécessaire à la composition complète d'une fiche bibliographique6. Ces auteurs croient que le temps dévolu à déterminer l'entrée principale servirait mieux les usagers des catalogues s'il était consacré à la rédaction de résumés ou à la reproduction des tables des matières des documents.

Winke avance deux autres arguments en faveur de l'élimination de l'entrée principale. D'abord, il soutient que les RCAA2 ont été principalement élaborées pour les monographies, pour lesquelles il est plus facile de déterminer le principal responsable d'une œuvre, et par conséquent, l'entrée principale. Les choses se compliquent (avec la règle 21.1B2) lorsqu'il faut déterminer qui est le principal responsable d'un document produit par un organisme ou d'un document audiovisuel. Pour ces derniers, l'entrée principale ne désigne pas le principal responsable d'une œuvre (car il est trop difficile de le déterminer entre le réalisateur, les producteurs, les acteurs, etc.), mais le titre du document. Winke se demande alors pourquoi il serait nécessaire de garder l'entrée principale pour les publications imprimées alors qu'elle n'est pas nécessaire pour les documents audiovisuels, et que son absence n'empêche en rien la localisation et le regroupement de ce type de documents.

Il soutient également que le fait de déterminer les entrées principale et secondaires d'un document limite l'accès à ce document. En effet, selon la règle 21.6C2 des RCAA2, lorsqu'un ouvrage possède plus de trois auteurs ayant une responsabilité égale face à l'ouvrage, l'entrée principale se fait au titre et seulement le premier auteur est mentionné. Ainsi, les autres auteurs sont éliminés des accès, réduisant par le fait même l'accès à ce document pour un usager qui ne connaîtrait que le nom d'un auteur subséquent. Winke réfute ainsi un autre des arguments des auteurs en faveur du maintien de l'entrée principale : selon eux, elle permettrait de remplir une des fonctions du catalogue prescrite dans les Principes de Paris, soit celle de regrouper les documents écrits, dans ce cas-ci, par auteur. En passant sous silence le nom de plusieurs auteurs d'un ouvrage collectif, l'entrée principale nuirait au regroupement des documents produits par un auteur donné (Winke 1993, 57).

Enfin, Dunlop répond à ceux qui croient que l'entrée principale permet une certaine normalisation des fiches bibliographiques (un des arguments majeurs avancés par les défenseurs de l'entrée principale comme nous le verrons plus loin) qu'ils se trompent : une étude comparative menée à la Library of Congress et à la British National Library portant sur le choix de l'entrée principale a démontré qu'il y avait eu plusieurs variations pour le choix de l'entrée principale pour un même document. Une étude similaire donna les mêmes résultats pour l'Australian National Bibliography (Dunlop 1996, 28).

Devant les arguments avancés par les détracteurs de l'entrée principale, les défenseurs de celle-ci ne sont pas restés muets et l'ont défendue avec ténacité. Nous verrons que le débat est surtout lié à la définition de l'entrée principale et par conséquent, aux fonctions que ces auteurs lui attribuent.

3.2 Les arguments en faveur du maintien de l'entrée principale

Pour les défenseurs de la pertinence de l'entrée principale dans les catalogues informatisés, ce qui importe dans la définition de l'entrée principale est la notion d'uniformité. Rappelons que les RCAA2 décrivent l'entrée principale comme étant l'« enregistrement catalographique complet d'un document disposé selon une présentation qui assure au document une identification et une référence uniforme. » L'entrée principale servirait donc à normaliser les citations bibliographiques. Martin déclare ceci : « so the reason we have main entries is to provide a uniform heading for works, so that whenever a work is referred to in a catalogue, it will always have the same access point regardless of what those works are called in particular items » (Martin 1996, 24). Toutefois, Martin nuance son affirmation en ajoutant que l'entrée principale arrive mal à jouer ce rôle dans les catalogues informatisés et qu'il serait plutôt souhaitable qu'il existe une fiche bibliographique d'autorité pour les oeuvres (authorithy records for works).

Bierbaum abonde dans le même sens et souhaite voir l'entrée principale jouer le rôle d'uniformisation des noms d'auteur : « the bibliographic records for the totality of anyone's work must have a single field. And that field in the MARC record is the 100 (for persons) or 110 (for corporate entities) - the so-called main entry, which is actually a name access field » (Bierbaum 1994, 83).

Madison attribue elle aussi à l'entrée principale un rôle d'uniformisation et l'associe étroitement avec la notion d'auteur. Pour elle, contrairement à Winke, il est essentiel de connaître le principal responsable d'une œuvre : « deleting authorship as a prominent part of the citation process would only create greater confusion with catalog organization » (Madison 1992, 383).

Pour les défenseurs de l'entrée principale, l'uniformité des noms d'auteurs permettrait de regrouper toutes les oeuvres d'un auteur donné, une des fonctions essentielles du catalogue selon les Principes de Paris. Or, comme nous l'avons vu plus haut, Winke, Ayres et Dunlop ont réfuté cet argument, disant que le regroupement des œuvres dans les catalogues informatisés est possible avec tous les accès, pas seulement avec l'entrée principale, et qu'au contraire, celle-ci est plutôt une entrave à ce regroupement (étant donné les erreurs reliées au choix de l'entrée principale et la règle 21.6C2).

Jim Cole soutient quant à lui que le maintien de l'entrée principale facilite la recherche par auteur. Par exemple, la recherche « k pope alexander.au » (Cole 1995, 106) repêchera tous les documents dont Pope est l'auteur principal et tous ceux pour lesquels il est cité en entrée secondaire (comme traducteur par exemple). Or, selon Cole, un usager pourrait vouloir chercher seulement les œuvres dont Pope est l'auteur principal et pourrait par conséquent faire la recherche suivante : « k pope alexander.100 ». De plus, selon lui, l'entrée principale permettrait une meilleure indexation où il serait primordial de déterminer le principal responsable d'une œuvre. « Si l'entrée principale joue déjà ce rôle, pourquoi l'éliminer? », demande-t-il. D'Angelo rétorque aux arguments de Cole que peu d'utilisateurs connaissent le format MARC, que peu de catalogues permettent ce genre de recherche et que par conséquent, il serait absurde de garder cette fonction de l'entrée principale pour une minorité d'usagers (D'Angelo 1997, 6). Enfin, un des derniers arguments avancés par les défenseurs du maintien de l'entrée principale est le rôle que celle-ci tient dans le classement des documents sur les rayons (shelflist and cuttering). D'Angelo répond simplement à cet argument les propos suivants : « this argument is also illogical, because AACR2R doesn't address shelving, and shelving should not affect descriptive rules at all » (D'Angelo 1997, 6).

4. Conclusion

Vous savez maintenant qu'une simple recherche sur Tolstoï implique beaucoup plus de choses que vous ne le soupçonniez. Néanmoins, le catalogue dans lequel vous faites votre recherche arrive parfaitement (ou presque) à vous présenter les œuvres que votre bibliothèque possède sur et de Tolstoï.

Ce que le débat sur l'entrée principale a de plus positif, c'est qu'il entraîne une réflexion sur les nouvelles fonctions que devraient remplir les catalogues informatisés afin de faciliter vos recherches. L'automatisation des catalogues permet d'effectuer des recherches beaucoup plus précises, avec de multiples points d'accès, dans plusieurs catalogues à la fois. Il faut donc, selon plusieurs auteurs, redéfinir les fonctions des catalogues.

Pour Stevens, il devrait exister trois types de catalogues : un catalogue public, un catalogue pour les bibliothécaires et un autre individualisé, chacun avec ses propres caractéristiques et fonctions dans le but de mieux servir les usagers (Stevens 1998, 185). Il croit aussi, tout comme Ayres (Ayres 1995, 11-15), que les catalogues devraient offrir beaucoup plus d'information quant au contenu des documents : ils devraient pouvoir afficher la table des matières des documents, un index, un résumé, une appréciation, des extraits, des liens externes vers d'autres sources d'information, etc. Ayres souhaite aussi une révision des RCAA : celles-ci, d'abord conçues pour un environnement manuel, devraient être révisées en tenant compte de toutes les possibilités qu'offrent les catalogues informatisés (Ayres 1995, 13-14). Carpenter prône également une amélioration des catalogues dans le but de les rendre encore plus faciles à utiliser pour les usagers. Il propose d'éliminer les différents champs de recherche (par auteur, par titre ou sujet) et de les remplacer par un seul champ d'interrogation : le catalogue devrait être en mesure d'afficher toutes les notices reliées aux termes de recherche (Carpenter 2000, 63).

Quelles que soient les caractéristiques du catalogue de demain, il demeure essentiel qu'il soit d'abord facile à utiliser pour les usagers et qu'il affiche les résultats les plus précis. Si cette précision exige le maintien du choix de l'entrée principale des documents, qu'il en soit ainsi. Par contre, si son absence ne change en rien les résultats obtenus, pourquoi ne pas l'éliminer ?


Notes

  1. • Cité dans S. Shoham et S. Lazinger, 1991. retour
  2. • Les termes d'entrées principale et secondaires apparurent pour la première fois avec les 91 règles du British Museum, premier code moderne de catalogage, au début du XXe siècle. R. Brunt, 1999. retour
  3. • C.A. Cutter cité dans S. Shoham et S. Lazinger, 1991. retour
  4. • International Conference on Cataloguing Principles, Statement of Principles Adopted at the International Conference on Cataloguing Principles, Paris, October 1961, cité dans M. Carpenter, 2000, p. 61.retour
  5. • K. Mori cité dans S. Shoham et S. Lazinger, 1991. retour
  6. Ibid. retour

5. BIBLIOGRAPHIE

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