Cursus est le périodique électronique
étudiant de l'École de bibliothéconomie et des
sciences de l'information (EBSI) de l'Université de
Montréal. Ce nouveau périodique diffuse des textes produits
dans le cadre des cours de l'EBSI.
ISSN 1201-7302
cursus@ere.umontreal.ca URL: http://www.fas.umontreal.ca/ebsi/cursus/Diplômée de l'UQAM en administration des affaires (1986) et de l'EBSI en 1995, Caroline Archambautl a occupé pendant un an le poste d'auxiliaire d'enseignement aux laboratoires d'informatique documentaire de l'EBSI. Elle occupe depuis avril 1996 le poste de spécialiste de l'information chez KPMG, une firme de comptables et de fiscalistes.
La communication dans un groupe de discussion scientifique: analyse du groupe de discussion Biomch-L a été écrit en 1994 dans le cadre du cours BLT 6341 Recherche en gestion des services et des ressources d'information donné par le professeur Pierrette Bergeron.
Pour joindre l'auteure : carcham@odyssee.net
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Dans un premier temps, la problématique est présentée, suivie d'un état de la question abordant deux thèmes: la communication scientifique et la communication par ordinateur. Ces deux thèmes permettront une meilleure compréhension de la communication scientifique et serviront de base pour l'analyse qui suivra. Nous présenterons ensuite la méthodologie utilisée pour l'analyse de contenu des messages du groupe de discussion étudié, ainsi que l'analyse qui en découle. Une discussion suivra, basée sur la revue de littérature, sur l'analyse des messages et sur notre expérience personnelle avec ce moyen de communication.
Les nouvelles formes de communication, comme la communication par ordinateur, permettent cette efficacité en facilitant le transfert d'information entre les chercheurs. Certains prévoient, dans un futur proche, des changements fondamentaux dans la façon dont les recherches et la communication scientifiques, ainsi que d'autres activités des chercheurs, seront faites (McClure et al., 1991). Ces changements seront en grande partie dus à l'arrivée massive des réseaux et de leurs possibilités de communication.
Cependant, même si plusieurs auteurs ont écrit sur la communication ou la communauté scientifique ainsi que sur les nouvelles formes de communication par ordinateur, peu de recherches ont été faites sur les normes qui influencent et guident le comportement des scientifiques communiquant fréquemment par ordinateur (Rosenbaum et Snyder, 1991) ainsi que sur le profil de ces chercheurs (Doty et al., 1990). La plupart des auteurs qui ont écrit sur le sujet affirment que sans cette compréhension, il sera difficile d'établir de bonnes structures pour la mise en place éventuelle de nouveaux réseaux.
C'est donc dans cet esprit que nous nous sommes intéressés aux groupes de discussion, en faisant une analyse de contenu d'un de ces groupes. Deux types de normes seront abordés dans cette étude, les normes scientifiques, propres à la communauté qui nous intéresse, et les normes sociales qui découlent de l'utilisation populaire de la communication par ordinateur et que nous identifierons par la " netiquette ", terme employé par la littérature pour parler du comportement que devrait avoir tout bon navigateur de l'Internet.
L'autre point abordé est la communication par ordinateur, plus précisément celle de l'Internet et des groupes de discussion. Nous verrons les normes sociales qui émergent de ces groupes ainsi que les résultats de quelques recherches qui ont été faites sur des groupes de discussion dans le milieu scientifique.
À travers les années, la communauté des chercheurs a développé un système de reconnaissance dans lequel la communication, les normes scientifiques et les récompenses sont étroitement liées (Merton, 1973). Cette reconnaissance apporte au scientifique plus de ressources et plus de pouvoir à l'intérieur de la communauté scientifique. Certains deviennent éventuellement membres de groupes spécialisés communément appelés " collèges invisibles " (Price, 1963; Crane, 1972). Ces groupes sont réputés pour avoir des normes d'éthique assez rigoureuses. Cela engendre cependant un certain cloisonnement et les nouveaux chercheurs sont souvent exclus de l'échange qui se fait entre certains scientifiques dans ces fameux collèges invisibles. L'avènement de la communication par ordinateur, qui rend la communication beaucoup plus facile, changera-t-elle la nature même de la communication scientifique en permettant un accès plus facile au milieu scientifique?
Depuis près de 300 ans, la communication scientifique se fait entre autres par le biais des périodiques. Hiltz (1984) affirme que le processus de la communication scientifique n'a pas beaucoup changé depuis. Sauf que pour plusieurs disciplines, la croissance exponentielle des recherches effectuées a ralenti le processus de publication et allongé la période entre la fin d'une recherche et sa publication dans un périodique (Rice et Tarin, 1993). Les articles de périodique prennent donc tellement de temps à paraître que souvent ils ne servent qu'à informer les chercheurs de ce qui se passe dans d'autres domaines, ou encore comme signe de reconnaissance pour l'accomplissement scientifique (Hiltz, 1984).
À cause de la lenteur du processus, Garvey et Griffith (1971) concluent, suite à une étude de la communication scientifique en psychologie, que les chercheurs utilisent beaucoup les discussions informelles, les petites réunions et l'échange de documents préliminaires (" drafts ") et prétirages (" preprints "). Ces échanges leur permettent de rester à jour dans leur domaine de recherche et de connaître les points de vue de la communauté sur la valeur des recherches effectuées dans des domaines connexes. La communication informelle prend donc une importance considérable puisqu'elle permet l'accès aux recherches privées, non publiées, mais qui restent des éléments vitaux pour l'avancement de la recherche (Ginsparg, 1994; Price, 1961).
On voit donc ici un premier impact concret que peut avoir la communication par réseau sur la communication scientifique et sur les normes de la communauté, puisqu'elle peut rendre ces échanges informels beaucoup plus facile.
La communication par ordinateur permettra-t-elle un accès plus facile à la communauté scientifique en réduisant l'élitisme qui prévaut? Chose sûre, il paraît évident que les réseaux bouleversent les mécanismes solidement établis de la communication scientifique, autant pour la communication informelle que pour la publication formelle (Doty et al., 1991). Les normes scientifiques jouent en effet un rôle dans l'utilisation des réseaux électroniques, mais la nature exacte de cette influence n'est pas claire quoique plusieurs tendances se dessinent depuis quelques années.
Comme n'importe quelle autre activité sociale, la communication adopte des standards de comportement, standards auxquels les participants sont tenus de se conformer (Rosenbaum et Snyder, 1991). Les groupes de discussion, d'un point de vue plus général, constituent un phénomène social. Il est donc tout à fait normal que des règles sociales s'y soient greffées avec le temps. Les principes de base sont simples, et peuvent s'appliquer à toute entrée dans une nouvelle " société " (Fraase, 1993): observer, apprendre, vivre et laisser vivre.
Ces règles semblent être de plus en plus respectées par les utilisateurs en général. Des guides sur l'Internet (Caroll et Broadhead, 1994; Gibbs et Smith, 1993) nous ont permis d'en relever quelques unes, adressées à tout type d'utilisateur: ne jamais oublier qu'on s'adresse à un humain, donc adhérer aux mêmes normes de comportement en réseau que celles que l'on suit dans la vie de tous les jours; garder ses messages le plus clair possible (discuter d'un seul sujet par message, bien indiquer le sujet du message dans la ligne sujet, lors d'une réponse à un message précédent, inclure seulement les parties du message auxquelles on répond directement, signer avec adresse électronique); éviter le contenu commercial dans les messages (sauf si un groupe le permet explicitement); consulter le FAQ (Frequently Asked Questions) des groupes de discussion.
Nous insistons sur le fait que ces règles ne sont pas des " lois ", elles sont tout au plus des conventions qui permettent le respect de part et d'autre. À travers les études sur les groupes de discussion consultées, on observe que ces règles, ou normes, quoique largement respectées, le sont à des degrés différents. Il n'en ressort pas de normalisation générale sauf peut-être pour les points que nous verrons plus loin.
Un nombre croissant d'études démontrent que la communication par ordinateur est de plus en plus utilisée et acceptée dans le domaine de la recherche scientifique (Rosenbaum et Snyder, 1991). Plusieurs de ces études proviennent maintenant de recherches faites dans le domaine des sciences sociales et se concentrent sur les aspects psychologique, social et culturel de la communication par ordinateur, plutôt que sur les aspects techniques comme ce fut le cas jusqu'à maintenant (McClure et al., 1991). Voici quelques résultats.
Une expérience menée par Hiltz (1984, p.157) sur l'utilisation du groupe de discussion comme support de communication entre les participants de dix groupes de recherche spécialisés, démontre que la majorité des utilisateurs de réseaux électroniques est d'accord pour dire que la communication accrue avec les pairs a changé leur compréhension face aux intérêts et aux activités des autres chercheurs dans leur domaine. En général, ces usagers rapportent passer plus de temps à communiquer avec d'autres membres de leur communauté scientifique depuis qu'ils utilisent de tels systèmes. Ce type de communication semble même avoir pour effet de mieux intégrer les nouveaux venus.
Une étude de Rosenbaum et Snyder (1991), portant sur l'analyse de 36 caractéristiques des messages de cinq groupes de discussion, constate qu'il y a quelques normes importantes qui se dégagent des groupes de discussion: une forte tendance à n'inclure qu'un sujet par message; une forte tendance à personnaliser le message en incluant d'autres éléments que le nom; une tendance à ne pas faire de référence explicite à un message lorsqu'on en reprend le sujet. Les auteurs concluent à ce sujet que cette tendance se rapproche plus de la communication verbale (en personne) que de la communication écrite.
Les autres caractéristiques de cette même étude sont moins uniformes, comme par exemple la fidélité de la ligne sujet par rapport au contenu. Quant au contenu des messages, une très forte tendance se dégage quant à la fidélité des sujets par rapport au domaine couvert par le groupe de discussion. Malgré le fait qu'il n'y ait aucun contrôle sur la nature des messages expédiés, les participants restent dans les limites du sujet couvert par la liste. C'est à cette étude que le présent projet s'apparente le plus.
Une autre étude (Doty et al., 1990), basée sur des groupes témoin et des entrevues auprès de différents groupes dans des organisations de recherche, essayait entre autres de voir (1) s'il est vrai que les réseaux changent le comportement des chercheurs et (2) quelles preuves existent que les réseaux changent la communication scientifique. En réponse à la première question, les chercheurs indiquent que les réseaux ont un certain impact sur la façon d'organiser leur travail, mais peu sur ce qu'ils font comme recherche ou considèrent comme étant une bonne recherche. Les réseaux sont considérés comme de bons outils de recherche, mais doivent être utilisés à l'intérieur de la structure normative de la recherche de l'entreprise. En réponse à la deuxième question, il apparaît que les éléments de base de la communication scientifique n'ont pas changé significativement à cause de l'apparition des réseaux. Mais il faut reconnaître que les réseaux facilitent, voir même améliorent grandement la communication (distance, transfert d'information plus facile, etc.) (Cooley et Wendt, 1991).
Les réseaux peuvent faciliter l'échange d'expertise et de conseils tout en améliorant les habiletés à se conformer à certaines normes techniques (Doty et al., 1991). Il en va autrement cependant de l'utilisation des réseaux pour l'échange de documents formels de recherche ou de toutes autres sortes de publications plus officielles. Cela apparaît pour les chercheurs comme une entrave au système de reconnaissance et de récompense établi. Avec les publications imprimées, il y a un contrôle sur qui peut y accéder et à quelles fins. Ce contrôle n'existe pas dans le monde électronique (Doty, 1992). Donc, même si les chercheurs semblent adhérer sans trop de problèmes aux normes plus techniques des réseaux, il en va autrement pour les normes sociales.
Quant à eux, Kovacs et Kovacs (1991) relèvent des points intéressants face à l'importance des groupes de discussion: transfert rapide de l'information; élimination des coûts de la distribution traditionnelle; utilisation peu coûteuse; maintien des contacts avec d'autres scientifiques; possibilité de collaboration dans les recherches en cours (quoique sur ce point les auteurs ne sont pas tous prêts à l'affirmer); substitut efficace des moyens traditionnels de communication comme le téléphone et la poste.
Snyder et al. (1992) ont pour leur part analysé les normes de référence de trois groupes de discussion sur Bitnet (un réseau à l'origine de l'Internet). Il en ressort que la seule norme standard de référence est l'utilisation de la ligne sujet. Les autres caractéristiques étudiées étaient l'inclusion du message, la façon dont on réfère à une personne (nom, adresse électronique, etc.), à un message ou aux personnes de l'extérieur. Les auteurs expriment cependant certaines réserves quant aux résultats obtenus. Plusieurs facteurs peuvent influencer les normes d'un groupe de discussion. Par exemple, les membres d'un groupe avec peu de participants et qui se connaissent bien entre eux vont être portés à utiliser le prénom de quelqu'un pour y référer, plutôt que son nom complet.
La communication scientifique est faite de normes sociales assez rigoureuses qui en font un monde un peu à part. Ces normes ont en effet tendance à créer des groupes d'élite difficiles à percer. La communication par ordinateur semble cependant avoir cette capacité de briser un peu le mur de cette communauté. Par ses possibilités inestimables de communication et de transfert d'information, la communication par ordinateur permet au milieu scientifique d'élargir facilement ces horizons. Cependant, bien que les chercheurs soient prêts à se conformer à certaines normes techniques quant à l'utilisation des réseaux, il en va autrement de leur adhérence aux normes sociales. Il ressort des études que la structure normative de la communauté scientifique n'est pas prête de disparaître à cause de l'arrivée des réseaux.
L'analyse de contenu est défini comme une technique de recherche qui permet de tirer des conclusions valides et conformes à partir de certaines données dans un contexte défini (Krippendorff, 1989). L'analyse de contenu est privilégiée ici puisqu'elle est fréquemment utilisée, dans la communication, pour analyser l'échange de messages entre interlocuteurs.
L'analyse est effectuée à l'aide d'une grille développée et validée dans le cadre de cette recherche. La grille d'analyse fut construite à l'aide de certaines caractéristiques, mentionnées dans la littérature, concernant le contenu des messages (ligne sujet, demande, objet du message) ainsi que leur structure (destinataire, information sur l'expéditeur, nombre de sujet par message). Pour compléter cette grille, 15% des 279 messages des mois d'août et de novembre 1994 furent choisis au hasard et analysés. Cet échantillon a permis de relever d'autres caractéristiques permettant de compléter la grille d'analyse.
Voici la grille obtenue:
Pour vérifier la fidélité de la grille d'analyse, un deuxième échantillon, constitué de 56 messages (20% des mêmes 279 messages), a été prélevé. Deux méthodes ont été utilisées, la fidélité inter-codeur (sur l'ensemble des 56 messages) et la fidélité intra-codeur (sur 5% de ces mêmes messages). Ces messages furent codés séparément, à l'aide de la grille développée, par deux personnes différentes. Le pourcentage d'accord (nombre de jugements en accord/nombre de jugements total) fut de 95% pour la méthode inter-codeur et de 98% pour la méthode intra-codeur, soit au-delà des 85% qui représentent la norme acceptable pour la recherche en science sociale (Rosenbaum et Snyder, 1991). La grille fut donc appliquée à l'ensemble des messages du mois d'août 1994 et l'analyse qui suit en est issue.
Une étude comme la nôtre peut cependant difficilement mesurer l'impact d'un groupe de discussion sur l'avancement des idées en science, conséquence importante de la communication scientifique. La grille d'analyse permet de coder les messages selon leur contenu général seulement. Il est impossible de savoir, par exemple, quels thèmes de recherche sont discutés. Pour aller plus profondément dans le contenu des messages et des discussions, un expert du domaine serait nécessaire, il serait plus apte à juger ce contenu spécialisé.
Figure 1 Résultats
de l'analyse des messages du mois d'août 1994
NOEUDS NOMBRE % 1 sujet/message 88 98% 2 sujets/message 2 2% adressé liste 87 97% adressé ind. 3 3% Fidélité sujet 86 96% ORIGINE GEOGRAPHIQUE Amérique centrale 1 1% Amérique nord 56 62% Canada 7 8% Etats-Unis 49 54% Europe 18 20% Asie 4 4% Océanie 6 7% Afrique 3 3% Incertaine 2 2% SIGNATURE Nom et/ou prénom 73 81% Nom seulement 0 0% Prénom seulement 3 3% Nom et prénom 70 78% Affiliation 56 62% Adresse électronique 41 46% Adresse physique 33 37% avec pays 18 20% sans pays 15 17% Téléphone 31 34% Télécopieur 28 31% Personnalisation 8 9% Aucune signature 15 17% CITATION Personne 2 2% avec affiliation 1 1% sans affiliation 1 1% Organisation 2 2% Groupe de discussion 0 0% Publication 2 2% Auto-citation 1 1% RÉFÉRENCE À UN MESSAGE Message inclus 9 10% Expéditeur 2 2% Adresse électronique 0 0% Sujet 11 12% Autres 1 1% CONTENU Référence 13 14% Produit 14 16% Méthodes 22 24% "Flame" 0 0% Sommaire 12 13% avec synthèse 2 2% sans synthèse 10 11% Annonce 22 24% poste 8 9% conférence 6 7% autres 8 9% Commercial 0 0% Biomch-L 4 4% normes 1 1% autres 3 3% Internet 3 3% Demandes diverses 8 9% Autres 9 0%
Nous répondrons plus précisément à la question posée en introduction à savoir s'il y a des normes, scientifiques ou sociales, qui se dégagent de ce groupe de discussion. Par le contenu des messages relevé, l'analyse nous révélera si oui ou non la communication par ordinateur semble influencer la communication scientifique ou si elle tend plutôt à remplacer les canaux traditionnels de communication.
Rappelons ici que cette étude est exploratoire et que pour rendre les résultats plus significatifs, un plus grand échantillon devrait être analysé.
Le groupe se démarque plus des autres études en ce qui concerne le destinataire du message. Seulement 3% des messages (3 messages) étaient des messages personnels envoyés à la liste. De ces 3 messages, deux étaient en fait des erreurs, des demandes d'abonnement envoyés à la liste plutôt qu'à l'administrateur de la liste. L'étude de Rosenbaum et Snyder (1991) en dénotait 25%, mais couvrait un échantillon de 662 messages.
La fidélité de la ligne sujet est également respectée très souvent puisque 96% des messages ont effectivement comme contenu le sujet indiqué dans l'en-tête. Comme pour la caractéristique précédente (destinataire), on note une augmentation de cette norme par rapport aux études faites au début des années 90. On peut supposer que ce sont des normes qui se sont ancrées dans les habitudes des participants de groupes de discussion au fur et à mesure que ces groupes devenaient plus populaires. L'expérience doit aussi entrer en ligne de compte. On peut en effet réaliser l'importance de ces deux éléments quand on les vit soi-même à travers nos expériences (recevoir des messages mal identifiés, recevoir des messages qui ne nous sont pas adressés, etc.). On est sûrement porté à faire plus attention à notre propre comportement.
Pour l'origine géographique, bien que ce groupe de discussion soit international, plus de 62% des messages proviennent d'Amérique du nord (54% proviennent des États-Unis et 8% du Canada),puis, 20% proviennent d'Europe, 4% proviennent d'Asie, 7% proviennent d'Océanie (tous d'Australie) et 3% proviennent d'Afrique. Dans 2% des cas, l'origine du message est incertaine. Il n'y a pas de signature et l'adresse de l'en-tête ne permet pas de déterminer l'origine avec certitude. Ce groupe étant originaire de l'Amérique du nord, cela peut expliquer la plus grande proportion des usagers venant de cette partie du continent.
Le nom et/ou le prénom de l'expéditeur se retrouvent dans 81.11% des messages. Aucun de ces messages n'est signé avec le nom de famille seulement, tandis que 78% portent le nom et prénom. Seulement 3% des messages sont signés uniquement avec le prénom. C'est un reproche que l'on a souvent fait d'ailleurs aux membres des groupes de discussion qui ne signaient que par le prénom. Quand le groupe commence, on a l'impression qu'on se connaît tous et on est plus familier, mais il ne faut pas oublier qu'on ne sait pas qui nous lit et que tous ne nous connaissent pas par le fait même.
Dans 62% des cas, l'expéditeur indique son affiliation. Ce n'est pas une caractéristique que l'on retrouve dans beaucoup de recherches, mais elle est fortement recommandée par la netiquette.
Il est surprenant de voir que seulement 46% des messages indiquent une adresse électronique dans la signature. Pourtant, le groupe de discussion, comme son nom l'indique bien, se veut un moyen de communication efficace et rapide. Et comme la netiquette veut qu'on réponde directement aux personnes qui posent des questions sans passer par la liste, ce pourcentage paraît faible. Des 49 messages sans adresse électronique dans la signature, 20 étaient de plus des demandes d'information. Et comme un message de la liste le mentionnait, il est maintenant possible de réduire les en-têtes des messages ce qui occasionne parfois la perte de la ligne de l'expéditeur. Donc si l'adresse électronique ne se trouve pas dans le message, il devient impossible de répondre sans un certain délai, le temps de retrouver l'adresse de l'expéditeur.
La combinaison fortement recommandée par la netiquette (Caroll et Broadhead, 1994; Gibbs et Smith, 1993) est le nom, l'affiliation et l'adresse électronique. 39% des messages ont au moins ces trois éléments, 22% ont au moins le nom et l'affiliation, 4% le nom et l'adresse électronique et 16% le nom seulement. On entend ici par nom, la présence du prénom et/ou du nom de famille.
Les autres éléments de la signature se retrouvent à des pourcentages plus faibles: 34% indiquent le téléphone, 31% le numéro de télécopieur, 9% personnalisent leur message (dessin ou citation). L'adresse physique est indiquée dans 37% des signatures et 20% seulement indiquent le pays. Finalement, 17% des messages (15 messages) n'ont aucune signature et proviennent principalement des États-Unis (12 messages).
Il n'y a pas d'uniformité dans la façon de se référer à un autre message. Ces résultats vont dans le même sens que ceux obtenus par Rosenbaum et Snyder (1991) qui voyaient là une tendance des utilisateurs à se comporter dans un groupe de discussion comme lors d'une communication verbale. C'est-à-dire qu'on prend souvent pour acquis que les destinataires savent de quoi on parle, en omettant de faire référence explicitement au message en question, et quand on y fait référence, il ne semble pas y avoir de " façon de faire ".
Ce haut pourcentage a ouvert, au mois de mars 1995, un débat intéressant sur la qualité de la liste. Un des administrateurs a en effet envoyé à la liste un message faisant un sommaire de quelques commentaires reçus de la part de certains membres.
La présence des étudiants semblent indisposer certains membres qui déplorent que la liste soit utilisée comme premier moyen pour chercher de l'information plutôt que comme dernier recours. C'est mauvais pour l'étudiant qui ne développe pas son aptitude à trouver de l'information pertinente et, surtout, qui ne semble pas apprendre à utiliser d'autres ressources.
Certains en viennent donc à proposer de scinder la liste pour exclure les étudiants des discussions des experts. On retrouve là une caractéristique des collèges invisibles qui est le contrôle des membres de la " société ". Mais tous ne partagent pas ce désir d'isoler les étudiants. Par contre, ils sont d'accord pour dire que trop de questions de référence sont posées sur la liste, ce qui est en partie confirmé par les résultats obtenus dans la présente recherche.
Il faut en effet se souvenir, comme le fait remarquer un des membres, qu'un des buts des groupes de discussion est de permettre l'interaction entre " ceux qui savent " et " ceux qui apprennent ". La meilleure solution pour éviter que ceux qui savent ne servent que de diffuseur de référence, c'est de sensibiliser la liste à ce sujet. La pression des pairs est en effet vue comme un élément important pour rétablir la qualité de la liste.
Il est donc intéressant de voir que malgré le fait que la norme encourageant à répondre directement au demandeur soit très présente sur les réseaux, les chercheurs voudraient plutôt la contourner tout en étant conscients que cela risque d'engendrer beaucoup plus de messages dans leur courrier. Ce désir rejoint une des normes scientifiques touchant la mise en commun du savoir (Merton, 1973). De plus, ces échanges sur une méthode ou un sujet précis ne peuvent que faire avancer la science en encourageant les nouvelles idées.
Pour finir, un point intéressant à noter, aucun des 90 messages du mois d'août n'avait un contenu commercial ou n'était un " flame ". Ce qui semble, par expérience personnelle, refléter la situation des groupes de discussion scientifique ou professionnel.
Les comportements observés à travers la liste de discussion Biomch-L ne sont pas uniformes. À part le nombre de sujets par message, la fidélité de la ligne sujet et le respect des autres membres (en évitant par exemple l'envoi de message personnel à la liste et l'envoi de message à des fins commerciales), les autres caractéristiques ne sont pas généralisées à travers les messages. Il est plus réaliste de parler de tendances que de normes.
Cette étude nous a permis d'en apprendre un peu plus sur une nouvelle forme de communication utilisée en science: les groupes de discussions par courrier électronique. Les normes émergentes sont cependant plus reliées à la structure des messages qu'à leur contenu. Les résultats de Doty et al. (1991) allaient d'ailleurs dans ce sens. Ils concluaient en effet que les méthodes de travail des chercheurs étaient grandement améliorées grâce aux possibilités de communication des réseaux, mais que pour le contenu même de ces échanges, les normes scientifiques prévalaient encore. Échanges plus concrets, par exemple sur des résultats, en milieu plus fermé.
Nous n'avons donc pu tirer de grandes conclusions sur le contenu des messages car on retrouvait surtout des demandes d'informations dont les réponses ne circulaient pas directement sur la liste. D'ailleurs, des commentaires récents (mars 1995) sur la liste soulignent un certain intérêt pour les abonnés de voir les réponses circuler. Il semble que cela pourrait susciter des débats et des échanges plus enrichissants. Ces débats et échanges nous permettraient de faire une meilleure analyse du contenu scientifique des messages.
Les normes scientifiques de communication sont donc confrontées aux normes de communication présentes sur les réseaux. Dans l'ensemble, les groupes de discussion scientifique semblent se conformer assez bien à ces normes quant au niveau de la structure des messages. Mais pour ce qui est du contenu, la rigidité de la communication scientifique ne semble pas être ébranlée, tout au plus facilitée. Rien ne laisse voir que les informations échangées à travers les messages pourraient éventuellement avoir autant de poids, par exemple, qu'un article publié. La reconnaissance des pairs semblent vouloir passer par les mêmes normes établies depuis si longtemps. Par contre, ce groupe permet une intégration plus facile des nouveaux venus dans les discussions et échanges prenant place sur la liste.
À la lumière des résultats obtenus quant à la nature des messages (contenu), le groupe de discussion nous apparaît ressembler aux discussions de " couloir " qui peuvent se dérouler lors de conférences, de congrès ou autres activités réunissant les membres d'une profession. Les groupes de discussion sont en effet une façon de se parler qui devient accessible pendant toute l'année. Mais pour l'instant, ces échanges sont plutôt informels.
Ces remarques nous amènent à définir de nouvelles pistes de recherche pour en savoir plus sur cet aspect des groupes de discussion. Ainsi, il faudrait d'abord vérifier à quel point le groupe de discussion favorise les communications privées entre les membres, par courrier électronique ou à l'aide d'un autre moyen. Par exemple, si les demandes d'information sont répondues par des messages privés, nous ne connaissons pas l'ampleur des discussions qui en découlent. Par conséquent, il semble difficile de mesurer l'impact réel d'un groupe de discussion scientifique uniquement à l'aide des messages qui y circulent. Par contre, étudier les communications personnelles qui en découlent pose deux problèmes importants: l'identification des objets à étudier (qu'est-ce qui découle d'un groupe de discussion?) et le caractère privé d'une telle étude.
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