ISSN 1201-7302 | Cursus vol. 6 no 1 (automne 2001) |
Marie-Claude Béland
Cursus est le périodique électronique étudiant de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal. Ce périodique diffuse des textes produits dans le cadre des cours de l'EBSI.
Courriel : cursus@ebsi.umontreal.caTout texte demeure la propriété de son auteur. La reproduction de ce texte est permise pour une utilisation individuelle. Tout usage commercial nécessite une permission écrite de l'auteur.
Marie-Claude Béland a fait un baccalauréat en histoire à l'Université de Montréal (1996-1999). Par la suite, elle a complété une maîtrise en sciences de l'information à l'EBSI entre 1999 et 2001 et s'est spécialisée en archivistique. Durant ces deux années, elle s'est impliquée dans le Collectif des archivaires, entre autres comme responsable du site web. Elle est, depuis le mois de mai 2001, archiviste aux Archives Providence de la Congrégation religieuse des Sœurs de la Providence à leur Maison-mère de Montréal.
Ce travail a été effectué dans le cadre du cours BLT 6308 Documents visuels et sonores donné à la session Automne 2000 par le professeur James Turner.
La préservation et la restauration sont nécessaires pour la survie des grands classiques cinématographiques et leurs bandes sonores afin que leur état demeure le plus près possible de l'original. Inévitablement, avec le temps, les interventions humaines et l'usure, les films et rubans magnétiques se détériorent jusqu'à devenir irréparables et illisibles. Heureusement, des techniques de préservation et de restauration peuvent réduire les dommages "naturels" que subissent ces supports physiques.
Dans ce texte, il ne sera présenté qu'un survol de ces diverses pratiques. De plus, différentes recommandations professionnelles pour la prévention et la conservation des films et leurs bandes sonores seront exposées. Afin de bien démontrer les effets de ces techniques, un exemple particulier sera présenté. Nous nous attarderons donc sur la restauration des films et des bandes sonores de la Trilogie Star Wars. En effet, ces classiques du cinéma de science-fiction américain, créés par George Lucas, furent "remasterisés" entre 1993 et 1997. Cette opération coûteuse et de longue haleine fut le moyen privilégié par le producteur et fondateur de nombreuses compagnies innovatrices pour "boucler la boucle" en rendant la version originale (1977 à 1983) à la hauteur de ses attentes et de la nouvelle technologie. Après 20 ans, la nécessité de rajeunir les pellicules et rubans magnétiques fut-elle partagée ou éclipsée par un coup de marketing? Qu'advient-il du film original, du classique, quand il est modifié durant le processus de restauration comme ce fut le cas avec Star Wars? Sans prétendre apporter des réponses à ces interrogations techniques et morales, ce texte exposera divers points de vue sur ces sujets.
L'industrie cinématographique américaine est très prolifique dès les débuts du 7e art, à l'aube du 20e siècle. À cette époque, soit vers les années 1890, jusque dans la décennie 1950, les pellicules 35 mm utilisées pour tourner des longs métrages étaient composées de nitrate de cellulose. Les professionnels se sont rapidement rendu compte des grands désavantages de cette substance. En effet, cette dernière subit une décomposition chimique continuelle qui rend le nitrate extrêmement inflammable. Pour cette raison et bien d'autres, seulement 10% des pellicules originales des films américains tournés avant 1929 existent encore et environ la moitié de ce qui a été filmé avant 1950 a survécu, mais combien de temps resteront-elles intactes? Les pertes de "classiques" sont incalculables et constantes même si de plus en plus d'efforts sont fournis pour sauver ces chefs-d'œuvre.
Afin que l'héritage cinématographique américain ne disparaisse pas à tout jamais, certaines institutions, en particulier la Library of Congress, mettent sur pied des plans pour la préservation des films, à savoir, les longs et courts métrages, les documentaires et les films indépendants. En 1988, le National Film Registry, liste de classiques devant être conservés par la Library of Congress, est établi par le Congrès américain, et le National Film Preservation Board fait davantage entendre sa position en faisant état de la situation alarmante. Par ces délibérations, ces institutions visent à faire changer l'attitude de la population américaine à propos de ce patrimoine artistique bien particulier et encore relativement récent. Puisque le gouvernement fédéral des États-Unis ne peut, à lui seul, se charger des frais de préservation et de restauration de l'ensemble de la production, on tente un partage des coûts entre ce dernier et l'industrie cinématographique elle-même.
D'autres actions sont entreprises de façon encore plus concrète en 1992 et en 1994. Tout d'abord, l'adoption du National Film Preservation Act duquel résulte le Film Preservation 1993: A Study of the Current State of American Film Preservation donne le mandat à la Library of Congress de conserver le patrimoine cinématographique américain. Puis, Redefining Film Preservation: A National Plan propose 30 recommandations visant à retarder la détérioration des films américains. Ces quelques recommandations regroupent entre autres mesures : la préservation du film sur pellicule qu'il faut sauvegarder dans le format original, le financement des opérations avec l'industrie du cinéma, dans le but de rapatrier des films américains conservés à l'étranger et favoriser l'accès de ces classiques au public en mettant l'accent sur la valorisation de cet héritage en leur faisant une place dans l'éducation et les expositions muséales.
Film is a fragile medium, generally intended for a brief commercial life. Preservation tries to slow film's inevitable decay by controlling storage conditions and by copying endangered works onto more durable film stock. [...] Preservation is the assurance that a film will continue to exist in something close to its original form 1.
Trois types de pellicules sont utilisés pour le tournage de longs métrages à partir des années 1950. Il s'agit du nitrate de cellulose, de l'acétate de cellulose (safety film) et du polyester (également appelé safety film). Selon le type de pellicule choisi, le film peut développer, au cours de son existence, trois problèmes principaux, soit la dégradation du film de nitrate, les colorants qui deviennent fades (color dye fading) et le syndrome du vinaigre sur les films d'acétate.
Une autre solution relative à la préservation concerne la duplication. En faisant des copies de l'original et en les disposant en sûreté dans différents lieux et dans des conditions de stockage optimales, les chances de perdre l'information consignée par la détérioration ou par la disparition tels que par le vol, la destruction accidentelle par le feu ou l'eau, le mauvais rangement physique, etc., se trouvent réduites.
Les pellicules de films ne doivent pas être les seules à être convenablement protégées des aléas de leur environnement. Les rubans magnétiques utilisés pour les bandes sonores de ces films ont aussi des besoins propres. À l'origine, on croyait que le ruban magnétique durerait 100 ans, mais on s'est finalement rendu compte que son délai de conservation se situe entre 10 et 20 ans et qu'il dépend essentiellement de l'efficacité et de la popularité de son système de lecture. Puisque le ruban magnétique n'est pas un support aussi stable que le film ou le papier, sa durée de vie peut être variable selon différents facteurs. Pour éviter la dégradation chimique du ruban magnétique, celui-ci doit être manipulé avec soin dans un environnement propre, donc hors de contact avec tout ce qui est poussière, saletés, traces de doigts, fumée et cendres de cigarette et autres polluants de l'air (sulfites, ozone, oxydes de nitrite) 2. Il faut s'assurer de ne pas échapper le support, que celui-ci n'entre pas en contact avec l'eau ou de le placer près de sources de chaleur pouvant le déformer, par exemple auprès d'un radiateur, d'une fenêtre ou au-dessus d'équipements électriques comme la télévision.
Pourtant, un problème se pose toujours en ce qui a trait au film comme produit fini. En effet, la trame sonore du film est constituée d'une bande optique en marge des images du film. Cet état rend plus ardues la conservation et la préservation des productions cinématographiques avec son, puisqu'il faut faire un compromis afin de leur trouver un environnement climatique adapté et optimal.Il est important d'examiner les conditions d'entreposage afin que celles-ci soient les plus justes possibles en ce qui concerne les rubans magnétiques. Si la température dépasse les 23o C, le ruban peut rétrécir et devenir trop serré, amenant des distorsions et même des bris. D'un autre côté, si l'humidité relative est en-deça de 70%, les moisissures peuvent s'attaquer au ruban et le rendre illisible, voire même le casser. Tout comme le métal, le ruban magnétique change selon les variations de température et d'humidité. Il peut alors rapetisser ou se dilater. La fréquence de lecture d'une bande magnétique est un autre facteur influençant sa durée de vie. Plus il est consulté, plus les frottements sur le ruban sont nombreux, et plus ses chances de se briser, de se froisser ou de se déchirer sont grandes. La qualité et les composantes physiques du ruban lui-même, la réputation de son producteur, tout comme la possibilité pour les nouveaux systèmes techniques de lire le ruban, affectent également son état de conservation futur. Quelques études ont voulu déterminer les conditions optimales de conservation des rubans magnétiques. En 1982, deux études divergentes furent publiées. La première propose une température de 18o C (± 2o C) et une humidité relative de 40% (± 5%) tandis que la deuxième soutient qu'il faut une température de 21o C (± 2o C) et 50% (± 20%) d'humidité relative. Une troisième étude, effectuée en 1990, obtient les mêmes résultats que la première.
Les grandes compagnies de l'industrie cinématographique aux États-Unis ont longtemps ignoré les principes de base de la préservation, de la conservation et de la restauration des films qu'ils produisent, car c'est un processus coûteux en temps, en argent et en personnel compétent. Depuis peu, nous voyons de plus en plus d'évolution dans ce domaine, en particulier à cause des profits qui peuvent être engendrés ultérieurement:
Since the beginning of the "home video era" around 1980, most studios have come to recognize the potential long-term value of their film libraries and some have embarked on ambitious "asset protection" programs. Paramount is a case in point. In the last five years it has spent over $35 million inspecting its negatives, audio tracks and color separations, doing film repair, and printing new preservation materials. In 1990 it opened a new $11-million archives building, with low-humidity cold vaults for preprint and color materials. Paramount stores second master printing copies in an underground facility in Pennsylvania and tracks its 750,000 items worldwide through an automated inventory system. By investing in the physical care of its collections, the studio expects to extend the shelf life of film elements and expedite retrieval. Industry storage practices, of course, vary. For example, two studio respondents store most film material at commercial vaults; several are in the process of automating their film inventory. [...] The depth of preservation protection depends on the scope and duration of the studio's commercial rights and the film's expected value over time. Films in which studios hold limited commercial interest generally do not receive the same depth of protection as the studio's own productions 3.
La restauration est une intervention archivistique qui détermine les opérations prioritaires à effectuer sur un document original endommagé afin que l'information qu'il contient soit sauvegardée et puisse être conservée comme témoignage pour les générations futures. Elle nécessite une reconstitution fréquente du support appuyée par de nombreuses sources. La restauration représente une opération dispendieuse et de longue haleine, elle doit donc être rigoureusement planifiée et les documents nécessitant l'intervention doivent être bien identifiés. Pour une question de sécurité, deux exemplaires à grains fins (copies) sont produits depuis le négatif original, dans le cas où le premier grain fin serait endommagé durant la reconstruction. En parallèle, la bande sonore (nitrate optical soundtrack) est ré-enregistrée sur ruban magnétique. Par la suite, une copie de sûreté est produite. Des sections manquantes, incomplètes ou endommagées sont alors remplacées par du matériel approprié. "The sound track and picture elements were then be matched, producing a fine grain with numerous splices and many untimed inserts. This copy is the restoration master because it is the closest to the original." 4 Les égratignures et les chuintements sur les rubans magnétiques et les pellicules de films peuvent être enlevés par un nouveau procédé d'amélioration électronique (electronic enhancement).
Comme nous l'avons mentionné précédemment, la restauration consiste en la réparation de supports endommagés ou détériorés à divers degrés par le temps et ses effets ou par les mauvaises manipulations, et ce afin qu'ils soient lisibles de nouveau. Cette intervention leur fait faire un retour en arrière, s'il est possible d'utiliser une telle expression. De son côté, la prévention constitue une toute autre intervention. Lorsque l'opération est possible, les rubans magnétiques peuvent être rafraîchis en refaisant une tension de la bande (retensioning). En le faisant dérouler ou reculer, le ruban n'est donc plus toujours tendu au même endroit ni au même degré. Ce processus permet d'éviter les déformations. Le ré-enregistrement représente un autre élément de prévention. Pour éviter de perdre les informations contenues sur le ruban, celles-ci sont lues et enregistrées périodiquement sur le même ruban afin de rafraîchir le signal magnétique.
La diminution des ressources allouées à la restauration et la préservation, combinée à la hausse des coûts de duplication et des demandes d'accès, forcent les archivistes à utiliser la prévention comme solution à plus ou moins long terme. Comme les moyens sont moins importants pour les actions "après coup" (restauration), la prévention doit devenir une opération "en amont". Cela nécessite donc, très tôt dans la vie du film ou du ruban, qu'ils soient conservés dans d'excellentes conditions d'entreposage. De cette façon, les rubans et pellicules originaux contenant la meilleure qualité d'image et de son, peuvent demeurer lisibles le plus longtemps possible. Ainsi, si nécessaire, des copies pourront être faites sur des supports plus permanents. Par contre, les technologies de restauration numériques, même si elles sont très précises, ne se substitueront jamais à l'original qu'il faut privilégier avant tout. Le meilleur moyen de préserver ces supports reste encore de les stocker dans un environnement à température et à humidité contrôlées le plus tôt possible dans leur cycle de vie et de veiller à leur lisibilité à long terme. En effet, l'absence, la non-fonctionnalité ou l'obsolescence technologique des appareils de lecture de certains formats de documents audiovisuels peut engendrer beaucoup de perte d'informations.
La prévention s'applique également à des niveaux autres que technique. En effet, l'éducation de la population vis-à-vis de la fragilité de ces supports et de la rareté de certains films amène certainement une plus grande sensibilisation face au patrimoine audiovisuel et à sa protection. Il s'agit de développer le côté pro-actif du public qui consulte ou non ces formes documentaires, pour que l'héritage cinématographique ne se perde pas à tout jamais.De nos jours, rares sont ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre de George Lucas. Le célèbre producteur est associé à de nombreux films comme la série des Indiana Jones, les films American Graffiti et Willow et la grande saga de Star Wars. Pour garder la liberté de décision dans la façon de tourner ses films, Lucas fonde sa propre compagnie, LucasFilm. LucasFilm
has gone to great lengths to preserve film, paper records and artifacts related to its productions. To use Star Wars (1977) as an example, Lucasfilm's distributor keeps the usual master cut negative and printing materials in a climate-controlled vault but, in addition, Lucasfilm has retained all other production elements. The firm has built its own archives building to house these materials5.
George Lucas ne s'est pas arrêté à cette étape et fonde respectivement, Lucas Licensing Ltd (licences de ses produits), Lucas Digital Ltd qui inclut Industrial Light and Magic (ILM) et Skywalker Sound pour les effets visuels et le son en post-production, LucasArts Entertainment Company (logiciels de jeux) et Lucas Learning Ltd. (logiciels d'éducation). George Lucas est également le vice-président de la Artists Rights Foundation et un des directeurs de la Film Fondation des États-Unis. Par son implication dans les multiples facettes de la création de films, Lucas fait office de pionnier dans les domaines de la qualité sonore et visuelle. Son perfectionnisme et son professionnalisme l'amenèrent, dès ses débuts dans le milieu cinématographique dans les années 1970, à créer de nouveaux standards en la matière, principalement avec la technologie THX.
En 1975, au même moment que Industrial Light and Magic, est développé le Skywalker Sound. Cette technologie est expressément conçue pour le mixage des sons (dialogues et effets sonores) dans les films de la Trilogie Star Wars. Afin d'améliorer au maximum les systèmes sonores des cinémas, LucasFilm Ltd travaille, au début des années 1980, à créer une nouvelle technologie. De cette réflexion résulte le THX Sound System, nommé selon le premier film de George Lucas, THX-1138 (1971). "THX provides for theatrical designs that integrate patented technology with architectural, acoustical, and sound equipment enhancements to provide the widest distorsion-free frequency ranges, as well as allowing sound to reach each seat in a more uniform manner"6. Plus tard, vers 1989, des systèmes audio très performants pour le cinéma maison ont été développés au moyen de cette même technologie (Home THX System).
En 1980, Lucas met sur pied des critères pour le contrôle de la qualité sonore. La technologie THX vise avant tout à augmenter les standards professionnels dans les salles de cinéma afin d'obtenir, pour chaque film, une uniformité dans la qualité et le perfectionnement du son. Ainsi, partout où les salles de cinéma sont équipées du système THX, la bande sonore du film sera reproduite avec la même fidélité et intensité. À ce jour, plus de 2000 salles de cinéma possèdent le système THX et, depuis 1998, LucasFilm Ltd a également mis sur pied des standards pour les lecteurs DVD. En complément à THX, LucasFilm Ltd a récemment créé un nouveau format pour le "placement du son" dans les films, il s'agit du Dolby Digital-Surround EX. Dans les salles de cinéma, ce format sert à faire ressortir les effets sonores au moment et à l'endroit où ils seraient entendus dans un environnement réel.
THX ne sert pas uniquement à la diffusion des effets sonores pour des produits finis, il œuvre également dans le design de salles de cinéma, dans l'équipement de salles de mixage et de projection et offre un soutien technique aux producteurs de films, aux fabricants de vidéocassettes et de DVD, ainsi qu'aux studios soucieux d'atteindre un certain niveau de qualité pour leurs produits.
Lors de la dernière sortie sur vidéocassette de la version originale de Star Wars en 1995, on expérimente pour la première fois le THX Digital Mastering Program. Ce processus consiste à faire la conversion du film 35 mm utilisé en cinéma vers la version vidéo VHS et DVD afin que la qualité de l'image et du son demeure aussi précise, mais sans que ce format ne soit trop coûteux pour le consommateur.
The transfer process involves taking the optical film image, converting it to an electronic signal, digitizing it and recording the image as data. This process, known as "mastering", allows for the necessary alteration of the color balance and light levels to accurately reproduce the image in electronic form for the home environment7.
Ce nouvel aspect de la lignée THX concerne les "mp3" (ou pm3 en anglais), c'est-à-dire les "Professional Multi-Channel Mixing and Monitoring". Ce programme s'occupe principalement de dresser des normes de qualité et d'uniformité pour les trames sonores des films sur DVD afin qu'il n'y ait pas de "formules maison" (diversités de la qualité). "THX pm3 provides that assurance so the finished product isn't just one individual's idea of how it should sound (Bob Auger, founder of Electric Switch)." 8
Les films de la Trilogie Star Wars sont reconnus depuis longtemps comme étant des classiques du cinéma de science-fiction américain. Ils méritent cette distinction particulièrement à cause des innovations que ces films ont apportées au niveau de leurs effets visuels et sonores. En effet, dans les années 1970 puis 1980, George Lucas a créé expressément à l'intention de la production de Star Wars, ILM, le Skywalker sound, puis le son THX afin de faire les meilleurs films possibles et de la façon dont il l'entendait. Cependant, la vision de Lucas dépassait les capacités technologiques de l'époque. Ses efforts se sont davantage tournés vers la qualité sonore et la technologie qu'il créa avec THX révolutionna l'écoute des films dans les salles de cinéma. En plus de recevoir de nombreux honneurs et d'avoir des adeptes partout à travers le monde, Star Wars est reconnu comme contenant des valeurs culturelles, historiques et esthétiques assez importantes pour être inclus parmi les 25 premiers films placés dans le National Film Registry de la Library of Congress (1989)9.
En 1993, en vue de l'anniversaire des 20 ans de Star Wars, Lucas et la compagnie 20th Century Fox ont voulu ressortir sur grand écran la fameuse Trilogie. Ils trouvèrent les pellicules et bandes sonores originales dans un état assez pitoyable, même si ces films avaient été soigneusement entreposés dans une voûte souterraine à température contrôlée (env.10oC). Malgré toutes ces précautions, les couleurs étaient devenues fades à cause des changements chimiques des colorants et de la mauvaise qualité de pellicules.
The original Star Wars negative, from which pristine 35 mm prints would be struck, was in such bad condition that it would be impossible to use. The once vibrant colors had faded by 10% to 15% overall and dirt embedded in the six reels of the negative could produce scratches and pit marks that would loom large on the big screen10.
Afin de redonner une seconde jeunesse aux films et à leurs bandes sonores, un long processus de trois ans s'est entamé. S'ajoute à l'équipe de LucasFilm / ILM et 20th Century Fox, des experts des Digital and Photochemical Restoration Projects de la compagnie Pacific Title pour la reconstitution des trucages optiques originaux et les gens de YCM labs pour la rénovation des couleurs. En tout, une trentaine de personnes ont nettoyé chaque plan des trois films à l'éponge afin de lui redonner son aspect d'origine.
Certains effets spéciaux ont également été refaits dans le but d'obtenir une meilleure qualité technique et visuelle en donnant un aspect plus naturel à certaines scènes. De la même manière pour la trame sonore et les dialogues, l'équipe est retournée aux pistes originales pour en faire des copies plus nettes et les numériser (digitally remastered). Le remixage numérique du son offre désormais une qualité sonore exceptionnelle, ce qui, lors de la création du film en 1977, n'était pas encore imaginable malgré les efforts de Lucas en ce sens. L'ensemble des opérations de restauration de la Trilogie a coûté la modique somme de 10 millions de dollars, soit le même montant que l'original de Star Wars: A new hope (1977). Toutefois, les interventions de restauration ne consistent pas uniquement en un rajeunissement cinématographique visant à redonner une apparence nouvelle à la Trilogie, elles constituent principalement un moyen pour George Lucas de parachever son œuvre.
Les limites de la technologie dans les années 1970 et celles imposées par le manque de temps et d'argent avaient freinées la vision de Lucas. Celui-ci a donc profité des fonds dégagés par la 20th Century Fox en 1993 pour amener ses films au niveau des standards visuels et sonores de la fin du 20e siècle; standards qu'il a lui-même contribué à développer. Afin de créer des nouvelles scènes, certains bouts des films originaux furent coupés et numérisés pour former le négatif final. Le même processus s'applique aux bandes sonores dans lesquelles il est ensuite possible d'insérer de nouveaux sons et dialogues. Des ordinateurs et des logiciels très puissants ont été utilisés pour refaire des paysages, ajouter de nouveaux personnages mythiques, diminuer les effets "carton" de certaines scènes d'action puis donner au spectateur une vue à 360o lors des déplacements des vaisseaux. De nombreux autres films se sont servis de ces nouvelles technologies mises sur pied par les équipes de Lucas. Il est possible de citer entre autres, Jurassic Park, Terminator 2 et The Mask.
Ordinairement, la restauration d'une pellicule de film consiste à lui redonner ses couleurs d'origine, à enlever les saletés et à éliminer les égratignures pouvant nuire à sa lecture, tout cela afin qu'elle retrouve la même splendeur qu'à sa création. Le cas de l'Édition spéciale de la Trilogie Star Wars est différent. George Lucas a carrément ajouté, modifié ou enlevé des détails, et même des scènes, des trois films. Au total, 337 plans furent retravaillés11 à l'aide de la nouvelle technologie numérique. Ces grands changements imposés à la Trilogie originale nous amènent à nous poser différentes questions sur le statut de la version restaurée et donc sur la notion même de classique.Jusqu'à quel point un classique peut être modifié avant qu'il passe de son statut de film original à celui de nouvelle version? Doit-on continuer d'appeler ces nouvelles versions des "restaurations"? De nombreuses interrogations se posent à propos du processus de restauration de grands films comme ceux de la Trilogie Star Wars. Les modifications sont inévitables lorsque des interventions d'un tel type sont posées. Habituellement, la restauration se résume à des améliorations au niveau de la qualité sonore et visuelle afin de préserver l'œuvre le plus près possible de son état original. Lorsque des scènes complètes, générées par ordinateur, s'ajoutent à un film, il n'est assurément plus le même.
Hormis les critiques ayant encensé George Lucas sur les nouveaux ajouts apportés à ses films, d'autres critiques (journalistes, fans, etc.) apparaissent plus sévères envers le producteur. Plusieurs disent qu'il faut être prudent lorsque l'on veut faire de telles expériences avec des classiques. Ces critiques affirment qu'il n'est pas justifié de faire des tests avec de nouveaux appareils et logiciels sur des films connus "par cœur" au risque de les modifier de façon négative en créant, entre autres, des anachronismes et des personnages numériques déplacés.
I'm not saying that the restoration process was wrong -- I'm a straunch film preservationist. Recomposing effects sequences via both optical and digital means was certainly necessary for preservation purposes. However, enhancing or creating new scenes altogether is someting quite different than preserving a classic film 12.
Pour d'autres critiques, la possibilité de modifier et de restaurer les films doit être réservée au réalisateur du film et à personne d'autre. En effet, le film est tourné par le réalisateur, c'est sa vision d'une histoire, c'est sa création. En tant que réalisateur de la Trilogie Star Wars, George Lucas a le droit de faire tous les changements qu'il désire afin d'améliorer ses films selon son propre point de vue. Il a ainsi une seconde chance, avec la technologie plus avancée, d'amener ses films à la hauteur de ses espérances. "Restoration should be done on a case by case basis, [...], making sure that the director's artistic vision is not compromised"13.
Le problème, c'est que plusieurs croient que Lucas n'a essayé les nouvelles techniques qu'il a mises sur pied que pour faire des expérimentations en vue de la suite de la Trilogie, à savoir Episode I: The Phantom Menace, sorti en salles en 1999. Lucas aurait donc modifié ses classiques à des fins commerciales. Premièrement, pour faire sortir une nouvelle fois au cinéma et en vidéocassettes la Trilogie sous la bannière "Édition Spéciale", et deuxièmement, afin que la technologie qui sera employée dans ses futurs films soit bien rodée. "Although the restoration altered the film, not everyone thinks it was for the better. The new version is not an improvement on the original [...] it looks computerized"14. Coup d'argent ou non, les interventions de restauration semblaient justifiées d'un point de vue archivistique. Bien qu'il est préférable de laisser aux experts en cinéma le soin de critiquer les ajouts graphiques aux films, il ne faut pas oublier que la problématique du classique est très actuelle et touche la discipline archivistique et les archivistes directement dans leurs activités professionnelles.La préservation et la restauration des films et leurs bandes sonores peuvent être comparées au travail d'un chirurgien. Au premier abord, il faut établir le bon diagnostic afin de savoir où pratiquer l'opération. C'est un travail qu'il faut planifier avec précision afin de réaliser l'intervention de façon sécuritaire pour le "patient". Celui-ci peut en guérir mais reste toujours fragile, même si un bon traitement, dans les meilleures conditions, peut l'aider à vivre plus longtemps. Par contre, on ne peut freiner le processus de vieillissement, même avec les techniques les plus poussées. L'opération ne peut que prolonger la vie du "patient". Pourtant, à la différence des êtres humains, les films et bandes sonores peuvent légalement être "clônés" afin de sauvegarder leurs informations consignées. Le corps (support) peut mourir mais l'esprit (information consignée) survit à travers le temps.
Dans un autre ordre d'idées, la notion même de restauration peut s'avérer floue pour les compagnies cinématographiques, mais surtout pour le public qui visionne ces films dits restaurés. Il serait important de mettre au point une terminologie précise qui différencierait la restauration archivistique des retouches cinématographiques. Peu importe la véritable raison des modifications apportées à la Trilogie Star Wars, opération de marketing ou désir de Lucas d'atteindre sa vision ultime, la restauration de ses films et leurs bandes sonores s'avérait nécessaire au niveau archivistique. Après vingt ans, même dans d'excellentes conditions d'entreposage, différents problèmes comme la fadeur des colorants, les égratignures et les saletés se sont emparés de ces supports au point que ceux-ci ne pouvaient plus être utilisés. Que des classiques du cinéma soient modifiés et que l'on appelle ce processus restauration, le tout est une question de point de vue et de terminologie. Il s'agit que des professionnels comme les archivistes et de grandes institutions comme la Library of Congress définissent ensemble les actions et les limites de la restauration des films. La ligne est mince entre la notion de film original et celle de nouvelle version. L'Édition spéciale de Star Wars est, avant tout, une version remodelée et améliorée, selon les dires de son créateur, qui ne prendra jamais la place de la Trilogie originale. Malgré cela, ces trois films ne seront plus commercialisés que dans leur forme modifiée. Depuis la sortie sur les écrans de l'Épisode I, l'Édition spéciale a été retirée des tablettes puis ressortie une nouvelle fois en vidéocassette, mais aucune annonce n'a été faite laissant croire que la Trilogie sortirait en format DVD (uniquement l'Épisode I). Serait-ce que ce support encore récent est trop facilement duplicable? Que nous réserve George Lucas dans l'avenir comme nouveaux produits et nouvelles technologies? Seul le producteur nous le dira...
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EBSI > Cursus > Vol 6 no 1 > Béland | Dernière mise à jour : janvier 2002 |